Le cardinal Sarah
publié dans nouvelles de chrétienté le 1 juin 2015
Un pape d’Afrique noire
Il serait le premier de l’Histoire. Et ce pourrait être le prochain. Un nom: Robert Sarah. Auteur d’un livre révélation
par Sandro Magister
ROME, le 10 avril 2015 – C’est lui-même qui l’a dit, avec candeur : « J’ai la sensation que Dieu m’a mis à cette place pour peu de temps ». Quatre ou cinq ans, ou même moins.
Il est naturel que cette confidence du pape François ait relancé les conjectures à propos de celui qui lui succédera.
Et un nom a immédiatement pris la première place dans les classements élaborés par les parieurs et par les experts : celui du cardinal qui a été surnommé « le pape François d’Asie », Luis Antonio Gokim Tagle, un Philippin de mère chinoise, âgé de 56 ans. Un homme qui se déplace en autobus, qui accueille les clochards dans sa cathédrale, qui ne condamne pas mais embrasse, et qui a par ailleurs fait des études de théologie aux États-Unis avec des professeurs « liberal » renommés. C’est son visage joyeux que l’on a pu voir à côté de François au cours du voyage triomphal que celui-ci a effectué aux Philippines au mois de janvier dernier.
Mais bien peu de gens ont remarqué que, lors de ce voyage, François avait emmené avec lui, de Rome, un autre cardinal, qui s’était déjà rendu dans l’archipel philippin après le raz-de-marée de 2013 pour y apporter « la charité du pape », en sa qualité de président de « Cor unum ».
C’est un Africain nommé Robert Sarah, originaire de Guinée et âgé de 70 ans. Il était inconnu de la plupart des gens avant que son livre-interview, qui a été publié en France il y a un mois, ne permette de découvrir son étonnante personnalité. Au mois de novembre dernier, François lui a accordé une promotion surprenante en le nommant préfet de la congrégation vaticane pour le culte divin, une nomination forte dans le cadre de la nouvelle curie qui devrait naître de la réforme actuellement en cours.
Pour l’Église, c’est maintenant le temps de l’Afrique, à la fois continent de convertis – elle comptait 2 millions de catholiques en 1900 et ils sont 200 millions aujourd’hui – et terre de martyrs, qu’ils soient égorgés comme des agneaux sur les bords de la Méditerranée ou massacrés sur un campus d’université au Kenya. C’est aussi de cela qu’est faite la biographie de Sarah.
Il naît dans un village au cœur de la savane, dans une famille dont la conversion est toute récente. À l’âge de 12 ans, il est circoncis et initié à la vie adulte dans la forêt. Il fait ses études pour devenir prêtre et il est ordonné, alors que la Guinée, son pays, subit le régime sanguinaire du marxiste Sekou Touré, et que l’évêque de Conakry, la capitale, est emprisonné et torturé.
Il étudie la théologie à Rome, à l’Université Pontificale Grégorienne et surtout à l’Institut Biblique Pontifical, dont le recteur est alors Carlo Maria Martini et où il a Lyonnet, Vanhoye, de la Potterie comme professeurs. Il passe aussi un an à la prestigieuse École Biblique de Jérusalem.
Ensuite il regagne la Guinée, son pays, et y devient un humble curé de paroisse, qui se déplace à pied dans la savane pour rencontrer ses fidèles jusqu’au dernier, parmi une population qui est majoritairement musulmane. Jusqu’au jour où, en 1978, Paul VI le nomme évêque alors qu’il a 33 ans, ce qui fait de lui le plus jeune évêque du monde. Et il lui confie le diocèse de Conakry, mais Sékou Touré se montre de plus en plus féroce envers ce nouveau pasteur qui est un défenseur indomptable de la foi. Après la mort imprévue du tyran, en 1984, on découvrira que Sarah figurait à la première place sur la liste des ennemis à éliminer.
Jean-Paul II le fait venir à Rome en 2001 et le nomme secrétaire de la congrégation pour l’Évangélisation des peuples ; à ce poste il s’occupe des diocèses – il y en a plus de mille – des pays de mission. Et lorsque le préfet de cette congrégation tombe malade, Sarah devient, à partir de 2008, le numéro 1 effectif de Propaganda Fide. Cela le met en contact personnel avec Benoît XVI qui, en 2010, le nomme cardinal et président du conseil pontifical « Cor unum ».
Sarah éprouve une admiration sans bornes pour le pape Joseph Ratzinger. Il a en commun avec lui l’idée que la priorité absolue, pour l’Église d’aujourd’hui, c’est de porter Dieu dans le cœur des civilisations, que ce soit celles où le christianisme, implanté depuis très longtemps, est aujourd’hui estompé ou renié, ou bien celles qui sont encore païennes.
Cet objectif, Sarah l’attribue aussi au concile Vatican II. Celui-là et pas un autre, parce que l’éclipse de Dieu est l’abaissement de l’homme. « Dieu ou rien », c’est le titre de son livre, offre plus de quatre cents pages fulgurantes de profondeur et de netteté.
La charité envers les laissés-pour-compte du monde doit également révéler Dieu. Sans rabais. On ne peut pas accepter, dit Sarah, que « pendant que des chrétiens meurent pour leur fidélité à Jésus, en Occident des hommes d’Église cherchent à réduire au minimum les exigences de l’Évangile ».
Le cardinal Walter Kasper, le premier des grands électeurs de Jorge Mario Bergoglio, pense déjà à l’avenir et s’inquiète. Lors de sa dernière interview, il s’est posé cette question : » Le pontificat de François ne restera-t-il que comme un court interlude dans l’histoire de l’Église ? ».
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Cette note est parue dans « L’Espresso » n° 10 de 2015, en vente en kiosque à partir du 10 avril, à la page d’opinion intitulée « Settimo cielo », confiée à Sandro Magister.
Voici la liste de toutes les précédentes notes :
> « L’Espresso » au septième ciel
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Le livre :
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MORCEAUX CHOISIS DE « DIEU OU RIEN »
par Robert Sarah
MISÉRICORDE SANS CONVERSION
Désormais, il n’est pas faux de considérer qu’il existe une forme de refus des dogmes de l’Église, ou une distance croissante entre les hommes, les fidèles et les dogmes. Sur la question du mariage, il existe un fossé entre un certain monde et l’Église. La question devient fort simple : le monde doit-il changer d’attitude ou l’Église sa fidélité à Dieu ? Car si les fidèles aiment encore l’Église et le pape, mais qu’ils n’appliquent pas sa doctrine, en ne changeant rien dans leurs vies, même après être venus écouter le successeur de Pierre à Rome, comment envisager l’avenir ?
Beaucoup de fidèles se réjouissent d’entendre parler de la miséricorde divine et ils espèrent que la radicalité de l’Évangile pourrait s’assouplir même en faveur de ceux qui ont fait le choix de vivre en rupture avec l’amour crucifié de Jésus. Ils estiment qu’à cause de l’infinie bonté du Seigneur tout est possible, même en décidant de ne rien changer de leur vie. Pour beaucoup, il est normal que Dieu déverse sur eux sa miséricorde alors qu’ils demeurent dans le péché. Ils n’imaginent pas que la lumière et les ténèbres ne peuvent coexister, malgré les multiples rappels de saint Paul : « Que dire alors ? Qu’il nous faut rester dans le péché, pour que la grâce se multiplie ? Certes non ! » […]
Cette confusion demande des réponses rapides. L’Église ne peut plus avancer comme si la réalité n’existait pas : elle ne peut plus se contenter d’enthousiasmes éphémères, qui durent l’espace de grandes rencontres ou d’assemblées liturgiques, si belles et riches soient-elles. Nous ne pourrons pas longtemps faire l’économie d’une réflexion pratique sur le subjectivisme en tant que racine de la majeure partie des erreurs actuelles. À quoi sert-il de savoir que le compte twitter du pape est suivi par des centaines de milliers de personnes si les hommes ne changent pas concrètement leur vie ? À quoi sert-il d’aligner les chiffres mirifiques des foules qui se pressent devant les papes si nous ne sommes pas certains que les conversions sont réelles et profondes ? […]
Face à la vague de subjectivisme qui semble emporter le monde, les hommes d’Église doivent prendre garde de nier la réalité en s’enivrant d’apparences et de gloire trompeuses. […] Pour engager un changement radical de la vie concrète, l’enseignement de Jésus et de l’Église doit atteindre le cœur de l’homme. Il y a deux millénaires, les apôtres ont suivi le Christ. Ils ont tout quitté et leur existence n’a plus jamais été la même. Aujourd’hui encore, le chemin des apôtres est un modèle.
L’Église doit retrouver une vision. Si son enseignement n’est pas compris, elle ne doit pas craindre de remettre cent fois son ouvrage sur le métier. Il ne s’agit pas d’amollir les exigences de l’Évangile ou de changer la doctrine de Jésus et des apôtres pour s’adapter aux modes évanescentes, mais de nous remettre radicalement en cause sur la manière dont nous-mêmes vivons l’Évangile de Jésus et présentons le dogme.
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PERSONNE, PAS MÊME LE PAPE…
François a intitulé un chapitre de son exhortation : « La réalité est plus importante que l’idée ». […] Je pense que le pape souhaite ardemment donner à l’Église le goût du réel, en ce sens que des chrétiens et même des clercs peuvent parfois avoir la tentation de se cacher derrière des idées pour oublier les situations réelles des personnes.
À l’inverse, certains s’inquiètent que cette conception du pape mette en danger l’intégrité du magistère. Le débat récent sur la problématique des divorcés et remariés a souvent été porté par ce type de tension.
Pour ma part, je ne crois pas que la pensée du pape soit de mettre en péril l’intégrité du magistère. En effet, personne, pas même le pape, ne peut détruire ni changer l’enseignement du Christ. Personne, pas même le pape, ne peut opposer la pastorale à la doctrine. Ce serait se rebeller contre Jésus-Christ et son enseignement.
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UNE NOUVELLE FORME D’HÉRÉSIE
Selon mon expérience, en particulier après vingt-trois années comme archevêque de Conakry et neuf années comme secrétaire de la congrégation pour l’évangélisation des peuples, la question des croyants divorcés ou remariés civilement n’est pas un défi urgent pour les Églises d’Afrique et d’Asie. Au contraire, il s’agit d’une obsession de certaines Églises occidentales qui veulent imposer des solutions dites « théologiquement responsables et pastoralement appropriées », lesquelles contredisent radicalement l’enseignement de Jésus et du magistère de l’Église. […]
Face à la crise morale, tout particulièrement celle du mariage et de la famille, l’Église peut contribuer à la recherche de solutions justes et constructives, mais elle n’a d’autres possibilités que d’y participer en se référant de façon vigoureuse à ce que la foi en Jésus-Christ apporte de propre et d’unique à l’entreprise humaine. En ce sens, il n’est pas possible d’imaginer une quelconque distorsion entre le magistère et la pastorale. L’idée qui consisterait à placer le magistère dans un bel écrin en le détachant de la pratique pastorale, qui pourrait évoluer au gré des circonstances, des modes et des passions, est une forme d’hérésie, une dangereuse pathologie schizophrène.
J’affirme donc avec solennité que l’Église d’Afrique s’opposera fermement à toute rébellion contre l’enseignement de Jésus et du magistère. […]
Comment un synode pourrait-il revenir sur l’enseignement constant, unifié et approfondi du bienheureux Paul VI, de saint Jean-Paul II et de Benoît XVI ? Je place ma confiance dans la fidélité de François.
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LE VRAI SCANDALE, AU SIÈCLE DES MARTYRS
Les martyrs sont le signe que Dieu est vivant et toujours présent parmi nous. […] Dans la mort cruelle de tant de chrétiens fusillés, crucifiés, décapités, torturés et brûlés vifs, s’accomplit « le retournement de Dieu contre lui-même » pour le relèvement et le salut du monde. […]
[Mais] pendant que des chrétiens meurent pour leur foi et leur fidélité à Jésus, en Occident des hommes d’Église cherchent à réduire au minimum les exigences de l’Évangile.
Nous allons même jusqu’à utiliser la miséricorde de Dieu, en étouffant la justice et la vérité, pour « accueillir – selon les termes de la ‘Relatio post disceptationem’ du synode sur la famille d’octobre 2014 – les dons et les qualités que les personnes homosexuelles ont à offrir à la communauté chrétienne ». Ce document poursuivait d’ailleurs en affirmant que « la question homosexuelle nous appelle à une réflexion sérieuse sur comment élaborer des chemins réalistes de croissance affective et de maturité humaine et évangélique en intégrant la dimension sexuelle ». En fait le vrai scandale n’est pas l’existence des pécheurs, car précisément la miséricorde et le pardon existent toujours pour eux, mais bien la confusion entre le bien et le mal, opérée par les pasteurs catholiques. Si des hommes consacrés à Dieu ne sont plus capables de comprendre la radicalité du message de l’Évangile, en cherchant à l’anesthésier, nous ferons fausse route. Car voilà le vrai manquement à la miséricorde.
Alors que de centaines de milliers des chrétiens vivent chaque jour avec la peur au ventre, certains veulent éviter que souffrent les divorcés remariés, qui se sentiraient discriminés en étant exclus de la communion sacramentelle. Malgré un état d’adultère permanent, malgré un état de vie qui témoigne d’un refus d’adhésion à la Parole qui élève ceux qui sont sacramentalement mariés à être le signe révélateur du mystère pascal du Christ, quelques théologiens veulent donner accès à la communion eucharistique aux divorcés remariés. La suppression de cette interdiction de la communion sacramentelle aux divorcés remariés, qui se sont autorisés eux-mêmes à passer outre à la Parole du Christ – « Ce que Dieu a uni, l’homme ne doit pas séparer » – signifierait clairement la négation de l’indissolubilité du mariage sacramentel. […]
Il existe aujourd’hui une confrontation et une rébellion contre Dieu, une bataille organisée contre le Christ et son Église. Comment comprendre que des pasteurs catholiques soumettent au vote la doctrine, la loi de Dieu et l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité, sur le divorce et le remariage, comme si la Parole de Dieu et le magistère devaient désormais être sanctionnés, approuvés par le vote de la majorité ?
Les hommes qui édifient et structurent des stratégies pour tuer Dieu, détruire la doctrine et l’enseignement séculaires de l’Église, seront eux-mêmes engloutis, charriés par leur propre victoire terrestre dans la géhenne éternelle.
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Le Pew Research Center à propos de la croissance exponentielle du christianisme en Afrique subsaharienne au cours du siècle dernier :
> Christianity poised to continue its shift from Europe to Africa
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Traduction française par Charles de Pechpeyrou, Paris, France.
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