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Le mystère du peuple juif

Le mystère du peuple juif

publié dans regards sur le monde le 8 décembre 2009


Le mystère du peuple juif.

Dans notre homélie du 2ème dimanche de l’Avent, publiée ici, sur le site Item (dans la rubrique « Paroisse saint Miche »l)et sur le site « saint Michel de Rolleboise », nous avons abordé le problème de la conversion du peuple juif « à la fin des temps ». Nous nous sommes inspirés, en particulier, du très beau texte de saint Paul aux Romains, son chapitre XI et ses versets 11 à 33. Là, saint Paul nous affirme que la conversion du peuple juif est certaine. Un jour viendra où, par la grâce de Jésus-Christ, le voile qui a passé du front de Moïse sur le cœur du peuple juif, sera ôté. Ils reconnaîtront alors que la loi de Moïse, son culte, ses prescriptions devaient aboutir au Messie Jésus et qu’ils ont reçu en Lui leur accomplissement, leur perfectionnement. Ce jour de l’enlèvement du voile sera celui de leur conversion. Les Juifs reviendront un jour au Seigneur en la Sainte Eglise.

 

Le texte de saint Paul aux Romains : chapitre 11.

 

Le texte de saint Paul est si beau qu’il faut le relire et le méditer :
« Je dis donc : Est-ce que Dieu a rejeté son peuple? Loi de là ! Car moi aussi, je suis Israélite de la postérité d’Abraham, de la race de Benjamin. Non, Dieu n’a pas rejeté son peuple, qu’il a connu d’avance. Ne savez-vous pas ce que l’Ecriture rapporte dans le chapitre d’Elie, comment il adresse à Dieu cette plainte contre Israël :  » Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont renversé vos autels, je suis resté moi seul, et ils en veulent à ma vie.  » Mais que lui répond la voix divine? Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal.  » De même aussi, dans le temps présent, il y a une réserve selon un choix de grâce. Or, si c’est par grâce, ce n’est plus par les œuvres; autrement la grâce cesse d’être une grâce. [Et si c’est par les œuvres, ce n’est plus une grâce; autrement l’œuvre cesse d’être une œuvre.] Que dirons-nous donc? Ce qu’Israël cherche, il ne l’a pas obtenu; mais ceux que Dieu a choisis l’ont obtenu, tandis que les autres ont été aveuglés, selon qu’il est écrit :  » Dieu leur a donné un esprit d’étourdissement, des yeux pour ne pont voir, et des oreilles pour ne point entendre, jusqu’à ce jour.  » Et David dit :  » Que leur table leur devienne un piège, un lacet, un trébuchet et un juste châtiment ! Que leurs yeux soient obscurcis pour ne point voir; tiens leur dos continuellement courbé ! »
« Je demande donc, Ont-ils bronché, afin de tomber pour toujours? Loin de là, mais par leur chute, le salut est arrivé aux Gentils, de manière à exciter la jalousie d’Israël. Or, si leur chute a été la richesse du monde, et leur amoindrissement la richesse des Gentils, que ne sera pas leur plénitude ! En effet, je vous le dis, à vous, chrétiens nés dans la gentilité : moi-même, en tant qu’apôtre des Gentils, je m’efforce de rendre mon ministère glorieux, afin, s’il est possible, d’exciter la jalousie de ceux de mon sang, et d’en sauver quelques-uns. Car si leur rejet a été la réconciliation du monde, que sera leur réintégration, sinon une résurrection d’entre les morts? Si les prémices sont saintes, la masse l’est aussi; et si la racine est sainte, les branches le sont aussi.
« Mais si quelques-unes des branches ont été retranchées, et si toi, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu as été enté à leur place et rendu participant de la racine et de la sève de l’olivier,
ne te glorifie pas à l’encontre des branches. Si tu te glorifies, sache que ce n’est pas toi qui portes la racine, mais que c’est la racine qui te porte. Tu diras donc : Ces branches ont été retranchées, afin que moi je fusse enté. Cela est vrai; ils ont été retranchés à cause de leur incrédulité, et toi, tu subsistes par la foi; garde-toi de pensées orgueilleuses, mais crains.
Car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, crains qu’il ne t’épargne pas non plus. Considère donc la bonté et la sévérité de Dieu : sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers toi, si tu te maintiens dans cette bonté; autrement toi aussi tu seras retranché.
Eux aussi, s’ils ne persévèrent pas dans leur incrédulité, ils seront entés; car Dieu est puissant pour les enter de nouveau. Si toi, tu as été coupé sur un olivier de nature sauvage, et enté, contrairement à ta nature, sur l’olivier franc, à plus forte raison les branches naturelles seront-elles entées sur leur propre olivier ».
« Car je ne veux pas, frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux : c’est qu’une partie d’Israël est tombée dans l’aveuglement jusqu’à ce que la masse des Gentils soit entée. Et ainsi tout Israël sera sauvé, selon qu’il est écrit :  » Le libérateur viendra de Sion, et il éloignera de Jacob toute impiété; et ce sera mon alliance avec eux, lorsque j’aurai ôté leurs péchés. Il est vrai, en ce qui concerne l’Evangile, ils sont encore ennemis à cause de vous; mais eu égard au choix divin, ils sont aimés à cause de leurs pères. Car les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance. Et comme vous-mêmes autrefois vous avez désobéi à Dieu, et que, par le fait de leur désobéissance, vous avez maintenant obtenu miséricorde, de même, eux aussi, ils ont maintenant désobéi, à cause de la miséricorde
qui vous a été faite, afin qu’ils obtiennent également miséricorde. Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance, pour faire miséricorde à tous.
« O profondeur inépuisable et de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Car  » qui a connu la pensée du Seigneur ou qui a été son conseiller? Ou bien « qui lui a donné le premier, pour qu’il ait à recevoir en retour? De lui, par lui et pour lui sont toutes choses. A lui la gloire dans tous les siècles ! Amen ! »
C’est vraiment un texte magnifique.

 

Le plus beau commentaire qui existe peut-être de ce passage de saint Paul est celui de Bossuet dans son « Discours sur l’Histoire Universelle » qu’il écrivait pour le Dauphin-Roi. Il me plait de le proposer à votre lecture. Ce sera certainement le plus beau texte, le plus beau « Regard sur le monde politique et religieux » que j’aurai publié dans Item jusqu’à ce jour. Vous serez sensible, je pense, à la qualité de l’argumentation théologique. Mais aussi à la pureté de la langue. Les phrases sont courtes. Un sujet. Un verbe. Un complément. Sans subordinations pesantes. Le style est d’une fraîcheur remarquable.

 

L’évêque de Maux analyse ce texte paulinien dans le chapitre 20 de la deuxième partie de son œuvre. Ce chapitre suit plusieurs autres chapitres merveilleux sur la doctrine de NSJC.Nous vous les proposerons la semaine prochaine. Cette doctrine du Christ si sublime a exigé pour s’imposer et rayonner du soutien de l’Esprit Saint . C’est ainsi que l’Eglise a très vite rayonné dans le monde connu, même jusqu’aux Indes. C’est alors que notre auteur aborde la question du jugement de Dieu sur les Juifs et les Gentils. C’est là qu’il invoque le texte de saint Paul et le commente. Puis il termine son chapitre par le rayonnement de l’Eglise sur le paganisme romain grâce au sang des martyrs.
J’aurais pu donner uniquement son commentaire sur l’Epître aux Romains. Mais ce chapitre est un tout. Je ne peux le couper.

 

« Discours de Bossuet sur l’Histoire Universelle »
Partie II
CHAPITRE XX.

 

La descente du Saint-Esprit; l’établissement de l’Eglise; les jugements de Dieu sur les Juifs et sur les Gentils.

 

« Pour répandre dans tous les lieux et dans tous les siècles de si hautes vérités, et pour y mettre en vigueur, au milieu de la corruption, des pratiques si épurées, il fallait une vertu plus qu’humaine. C’est pourquoi Jésus-Christ promet d’envoyer le Saint-Esprit pour fortifier ses apôtres, et animer éternellement le corps de l’Église.
Cette force du Saint-Esprit, pour se déclarer davantage, devait paraître dans l’infirmité. Je vous enverrai, dit Jésus-Christ à ses apôtres (1 : Luc. xxiv. 4) ce que mon Père a promis, c’est-à-dire le Saint-Esprit ; en attendant, tenez-vous en repos dans Jérusalem ; n’entreprenez rien jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut.
Pour se conformer à cet ordre, ils demeurent enfermés quarante jours : le Saint-Esprit descend au temps arrêté ; les langues de feu tombées sur les disciples de Jésus-Christ marquent l’efficace de leur parole ; la prédication commence ; les apôtres rendent témoignage à Jésus-Christ; ils sont prêts à tout souffrir pour soutenir qu’ils l’ont vu ressuscité. Les miracles suivent leurs paroles ; en deux prédications de saint Pierre huit mille Juifs se convertissent, et pleurant leur erreur ils sont lavés dans le sang qu’ils avoient versé.
Ainsi l’Église est fondée dans Jérusalem, et parmi les Juifs, malgré l’incrédulité du gros de la nation. Les disciples de Jésus-Christ font voir au monde une charité, une force, et une douceur qu’aucune société n’avait jamais eue. La persécution s’élève ; la foi s’augmente ; les enfants de Dieu apprennent de plus en plus à ne désirer que le ciel; les Juifs, par leur malice obstinée, attirent la vengeance de Dieu, et avancent les maux extrêmes dont ils étaient menacés; leur état et leurs affaires empirent. Pendant que Dieu continue à en séparer un grand nombre qu’il range parmi ses élus, saint Pierre est envoyé pour baptiser Corneille, centurion romain. Il apprend premièrement par une céleste vision, et après par expérience, que les Gentils sont appelés à la connaissance de Dieu. Jésus-Christ, qui les voulait convertir, parle d’en haut à saint Paul, qui en devait être le docteur; et, par un miracle inouï jusqu’alors, en un instant de persécuteur il le fait non seulement défenseur, mais encore zélé prédicateur de la foi : il lui découvre le secret profond de la vocation des Gentils par la réprobation des Juifs ingrats, qui se rendent de plus en plus indignes de l’Évangile. Saint Paul tend les mains aux Gentils : il traite avec une force merveilleuse ces importantes questions : « Que le Christ devait souffrir, et qu’il était le premier » qui devait annoncer la vérité au peuple et aux Gentils, après être ressuscité des morts : » il prouve l’affirmative par Moïse et par les prophètes, et appelle les idolâtres à la connaissance de Dieu, au nom de Jésus-Christ ressuscité. Ils se convertissent en foule ; saint Paul fait voir que leur vocation est un effet de la grâce, qui ne distingue plus ni Juifs ni Gentils. La fureur et la jalousie transportent les Juifs; ils font des complots terribles contre saint Paul, outrés principalement de ce qu’il prêche les Gentils, et les amène au vrai Dieu : ils le livrent enfin aux Romains, comme ils leur avaient livré Jésus-Christ. Tout l’empire s’émeut contre l’Église naissante; et Néron, persécuteur de tout le genre humain, fut le premier persécuteur des fidèles. Ce tyran fait mourir saint Pierre et saint Paul. Rome est consacrée par leur sang; et le martyre de saint Pierre, prince des apôtres, établit dans la capitale de l’empire le siége principal de la religion. Cependant le temps approchait où la vengeance divine devait éclater sur les Juifs impénitents : le désordre se met parmi eux; un faux zèle les aveugle, et les rend odieux à tous les hommes ; leurs faux prophètes les enchantent par les promesses d’un règne imaginaire. Séduits par leurs tromperies, ils ne peuvent plus souffrir aucun empire légitime, et ne donnent aucunes bornes à leurs attentats. Dieu les livre au sens réprouvé. Ils se révoltent contre les Romains qui les accablent ; Tite même, qui les ruine, reconnaît qu’il ne fait que prêter sa main à Dieu irrité contre eux. Adrien achève de les exterminer. Ils périssent avec toutes les marques de la vengeance divine : chassés de leur terre, et esclaves par tout l’univers, ils n’ont plus ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni pays ; et on ne voit en Juda aucune forme de peuple.

 

Dieu cependant avait pourvu à l’éternité de son culte : les Gentils ouvrent les yeux, et s’unissent en esprit aux Juifs convertis. Ils entrent par ce moyen dans la race d’Abraham, et, devenus ses enfants par la foi, ils héritent des promesses qui lui avaient été faites. Un nouveau peuple se forme, et le nouveau sacrifice, tant célébré par les prophètes, commence à s’offrir par toute la terre.

 

Ainsi fut accompli de point en point l’ancien oracle de Jacob : Juda est multiplié dès le commencement plus que tous ses frères ; et, ayant toujours conservé une certaine prééminence, il reçoit enfin la royauté comme héréditaire. Dans la suite, le peuple de Dieu est réduit à sa seule race ; et, renfermé dans sa tribu, il prend son nom. En Juda se continue ce grand peuple promis à Abraham, à Isaac, et à Jacob ; en lui se perpétuent les autres promesses, le culte de Dieu, le temple, les sacrifices, la possession de la Terre promise, qui ne s’appelle plus que la Judée. Malgré leurs divers états, les Juifs demeurent toujours en corps de peuple réglé et de royaume, usant de ses lois. On y voit naître toujours ou des rois, ou des magistrats et des juges, jusqu’à ce que le Messie vienne : il vient, et le royaume de Juda peu à peu tombe en ruine. Il est détruit tout à fait, et le peuple juif est chassé sans espérance de la terre de ses pères. Le Messie devient l’attente des nations, et il règne sur un Nouveau peuple.

 

Mais, pour garder la succession et la continuité, il fallait que ce nouveau peuple fût enté, pour ainsi dire, sur le premier, et comme dit saint Paul1, « l’olivier sauvage sur le franc olivier, afin de participer à sa bonne sève. » (Rom. xi. 17).

Aussi est-il arrivé que l’Église, établie premièrement parmi les Juifs, a reçu enfin les Gentils, pour faire avec eux un même arbre, un même corps, un même peuple, et les rendre participants de ses grâces et de ses promesses.
Ce qui arrive après cela aux Juifs incrédules, sous Vespasien et sous Tite, ne regarde plus la suite du peuple de Dieu. C’est un châtiment des rebelles, qui, par leur infidélité envers la semence promise à Abraham et à David, ne sont plus Juifs, ni fils d’Abraham que selon la chair, et renoncent à la promesse par laquelle les nations devaient être bénies.

 

Ainsi cette dernière et épouvantable désolation des Juifs n’est plus une transmigration, comme celle de Babylone ; ce n’est pas une suspension du gouvernement et de l’état du peuple de Dieu, ni du service solennel de la religion : le nouveau peuple déjà formé et continué avec l’ancien en Jésus-Christ n’est pas transporté ; il s’étend et se dilate sans interruption, depuis Jérusalem, où il devait naître, jusqu’aux extrémités de la terre. Les agrégés aux Juifs deviennent dorénavant les vrais Juifs, le vrai royaume de Juda opposé à cet Israël schismatique et retranché du peuple de Dieu, le vrai royaume de David, par l’obéissance qu’ils rendent aux lois et à l’Évangile de Jésus-Christ, fils de David.

Après l’établissement de ce nouveau royaume, il ne faut pas s’étonner si tout périt dans la Judée. Le second temple ne servait plus de rien depuis que le Messie y eut accompli ce qui était marqué par les prophéties. Ce temple avait eu la gloire qui lui était promise, quand le Désiré des nations y était venu. La Jérusalem visible avait fait ce qui lui restait à faire, puisque l’Église y avait pris sa naissance, et que de là elle étendait tous les jours ses branches par toute la terre. La Judée n’est plus rien à Dieu ni à la religion, non plus que les Juifs ; et il est juste qu’en punition de leur endurcissement leurs ruines soient dispersées par toute la terre. . .
C’est ce qui leur devait arriver au temps du Messie, selon Jacob, selon Daniel, selon Zacharie, et selon tous leurs prophètes (Os. in. 4, 5. Zacli. xi.13 , 16, 17. Rom. XI).

 

Mais comme ils doivent revenir un jour à ce Messie qu’ils ont méconnu, et que le Dieu d’Abraham n’a pas encore épuisé ses miséricordes sur la race quoique infidèle de ce patriarche, il a trouvé un moyen, dont il n’y a dans le monde que ce seul exemple, de conserver les Juifs, hors de leur pays et dans leur ruine, plus longtemps même que les peuples qui les ont vaincus. On ne voit plus aucun reste ni des anciens Assyriens, ni des anciens Mèdes, ni des anciens Perses, ni des anciens Grecs, ni même des anciens Romains. La trace s’en est perdue, et ils se sont confondus avec d’autres peuples. Les Juifs, qui ont été la proie de ces anciennes nations si célèbres dans les histoires, leur ont survécu ; et Dieu en les conservant nous tient en attente de ce qu’il veut faire encore des malheureux restes d’un peuple autrefois si favorisé. Cependant leur endurcissement sert au salut des Gentils, et leur donne cet avantage de trouver en des mains non suspectes les Écritures qui ont prédit Jésus-Christ et ses mystères. Nous voyons entre autres choses, dans ces Écritures1, et l’aveuglement et les malheurs des Juifs qui les conservent si soigneusement. Ainsi, nous profitons de leur disgrâce : leur infidélité fait un des fondements de notre foi ; ils nous apprennent à craindre Dieu, et nous sont un spectacle éternel des jugements qu’il exerce sur ses enfants ingrats, afin que nous apprenions à ne nous point glorifier des grâces faites à nos pères.

 

Un mystère si merveilleux, et si utile à l’instruction du genre humain, mérite bien d’être considéré. Mais nous n’avons pas besoin des discours humains pour l’entendre : le Saint-Esprit a pris soin de nous l’expliquer par la bouche de saint Paul; et je vous prie d’écouter ce que cet apôtre en a écrit aux Romains : Rom. xi.

 

Après avoir parlé du petit nombre de Juifs qui avait reçu l’Évangile, et de l’aveuglement des autres, il entre dans une profonde considération de ce que doit devenir un peuple honoré de tant de grâces, et nous découvre tout ensemble le profit que nous tirons de leur chute, et les fruits que produira un jour leur conversion. « Les Juifs sont-ils donc tombés », dit-il, « pour ne se relever jamais ? A Dieu ne plaise ». « Mais leur chute a donné occasion au salut des Gentils, afin que le salut des Gentils leur « causât une émulation » qui les fît rentrer en eux-mêmes. « Que si leur chute a été la richesse des » Gentils qui se sont convertis en si grand nombre, « quelle grâce ne verrons-nous pas reluire » quand ils retourneront avec plénitude ! Si leur « réprobation a été la réconciliation du monde, » leur rappel ne sera-t-il pas une résurrection de « mort à vie ? Que si les prémices tirées de ce peuple sont saintes, la masse l’est aussi ; si la racine « est sainte, les rameaux le sont aussi » ; « et si quelques-unes des branches ont été retranchées, et « que toi, Gentil, qui n’étais qu’un olivier sauvage, tu aies été enté parmi les branches qui sont demeurées sur l’olivier franc, en sorte que tu participes au suc découlé de sa racine, garde-toi de t’élever contre les branches naturelles. Que si tu t’élèves, songe que ce n’est pas toi qui portes la racine, mais que c’est la racine qui te porte. Tu diras peut-être : Les branches naturelles ont été coupées afin que je fusse enté en leur place ». « Il est vrai, l’incrédulité a causé ce retranchement, » et c’est ta foi qui te soutient. Prends donc garde de ne t’enfler pas, mais demeure dans la crainte : car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, tu dois craindre qu’il ne t’épargne encore moins. ».
Qui ne tremblerait en écoutant ces paroles de l’apôtre ? Pouvons-nous n’être pas épouvantés de la vengeance qui éclate depuis tant de siècles si terriblement sur les Juifs, puisque saint Paul nous avertit de la part de Dieu que notre ingratitude nous peut attirer un semblable traitement? Mais écoutons la suite de ce grand mystère. L’apôtre continue à parler aux Gentils convertis. « Considérez, leur dit-il, la clémence et la sévérité de Dieu ; sa sévérité envers ceux qui sont déchus de sa grâce, et sa clémence envers vous, si toutefois vous demeurez fermes en l’état où sa bonté vous a mis ; autrement vous serez retranchés comme eux. Que s’ils cessent d’être incrédules, ils seront entés de nouveau, parce que Dieu (qui les a retranchés) est assez puissant pour les faire encore reprendre. Car si vous avez été détachés de l’olivier sauvage où la nature vous avait fait naître, pour être entés dans l’olivier franc contre l’ordre naturel, combien plus facilement les branches naturelles de l’olivier même seront-elles entées sur leur propre tronc? » Ici l’apôtre s’élève au-dessus de tout ce qu’il vient de dire, et entrant dans les profondeurs des conseils de Dieu, il poursuit ainsi son discours : « Je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous appreniez à ne présumer pas de vous-mêmes. C’est qu’une partie des Juifs est tombée dans l’aveuglement, afin que la multitude des Gentils entrât cependant dans l’Église, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé, selon qu’il est écrit : « Il sortira de Sion un libérateur qui bannira l’impiété de Jacob, et voici l’alliance que je ferai avec eux lorsque j’aurai effacé leurs péchés. » (Is. 59 20)
Ce passage d’ Isaïe, que saint Paul cite ici selon les Septante, comme il avait accoutumé, à cause que leur version était connue par toute la terre, est encore plus fort dans l’original, et pris dans toute sa suite. Car le prophète y prédit avant toutes choses la conversion des Gentils par ces paroles : « Ceux d’Occident craindront le nom du Seigneur, et ceux d’Orient verront sa gloire. » Ensuite, sous la figure d’un fleuve rapide poussé par un vent impétueux, Isaïe voit de loin les persécutions qui feront croître l’Église. Enfin le Saint-Esprit lui apprend ce que deviendront les Juifs, et lui déclare « que le Sauveur viendra à Sion, et s’approchera de ceux de Jacob, qui alors se convertiront de leurs péchés ; et voici, dit le Seigneur, « l’alliance que je ferai avec eux. Mon esprit qui est en toi, ô prophète, et les paroles que j’ai mises en ta bouche, demeureront éternellement non seulement dans ta bouche, mais encore dans la bouche de tes enfants, et des enfants de tes enfants, maintenant et à jamais, dit le Seigneur ».

 

Il nous fait donc voir clairement qu’après la conversion des Gentils, le Sauveur que Sion avait méconnu, et que les enfants de Jacob avoient rejeté, se tournera vers eux, effacera leurs péchés, et leur rendra l’intelligence des prophéties qu’ils auront perdue durant un long temps, pour passer successivement et de main en main dans toute la postérité, et n’être plus oubliée jusques à la fin du monde, et autant de temps qu’il plaira à Dieu le faire durer après ce merveilleux événement.

 

Ainsi les Juifs reviendront un jour, et ils reviendront pour ne s’égarer jamais ; mais ils ne reviendront qu’après que l’Orient et l’Occident, c’est-à-dire tout l’univers, auront été remplis de la crainte et de la connaissance de Dieu.

 

Le Saint-Esprit fait voir à saint Paul que ce bienheureux retour des Juifs sera l’effet de l’amour que Dieu a eu pour leurs pères. C’est pourquoi il achève ainsi son raisonnement. « Quant à L Évangile, dit-il, que nous vous prêchons maintenant, les Juifs sont ennemis pour l’amour de vous : si Dieu les a réprouvés, c’a été, ô Gentils, pour vous appeler : mais quant à l’élection par laquelle ils étaient choisis dès le temps de l’alliance jurée avec Abraham, « ils lui demeurent toujours chers, à cause de leurs pères ; car les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance. Et comme vous ne croyiez point autrefois, et que vous avez maintenant obtenu miséricorde à cause de l’incrédulité des Juifs, Dieu ayant voulu vous choisir pour les remplacer ; « ainsi les Juifs n’ont point cru que Dieu vous ait voulu faire miséricorde, afin qu’un jour ils la reçoivent : car Dieu a tout renfermé dans l’incrédulité, pour faire miséricorde à tous, et afin que tous connussent le besoin qu’ils ont de sa grâce. « 0 profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont incompréhensibles, et que ses voies sont impénétrables ! Car qui a connu les desseins de Dieu, ou qui est entré dans ses conseils? Qui lui a donné le premier, pour en tirer récompense, puisque c’est de lui, et par lui, et en lui, que sont toutes choses? la gloire lui en soit rendue durant tous les siècles ! »

 

Voilà ce que dit saint Paul sur l’élection des Juifs, sur leur chute, sur leur retour, et enfin sur la conversion des Gentils, qui sont appelés pour tenir leur place, et pour les ramener à la fin des siècles à la bénédiction promise à leurs pères, c’est-à-dire au Christ qu’ils ont renié. Ce grand apôtre nous fait voir la grâce qui passe de peuple en peuple, pour tenir tous les peuples dans la crainte de la perdre, et nous en montre la force invincible, en ce qu’après avoir converti les idolâtres, elle se réserve pour dernier ouvrage de convaincre l’endurcissement et la perfidie judaïque.

Par ce profond conseil de Dieu les Juifs subsistent encore au milieu des nations, où ils sont dispersés et captifs : mais ils subsistent avec le caractère de leur réprobation, déchus visiblement par leur infidélité des promesses faites à leurs pères, bannis de la Terre promise, n’ayant même aucune terre à cultiver, esclaves partout où ils sont, sans honneur, sans liberté, sans aucune figure de peuple.

Ils sont tombés en cet état trente-huit ans après qu’ils ont eu crucifié Jésus-Christ, et après avoir employé à persécuter ses disciples le temps qui leur avait été laissé pour le reconnaître. Mais pendant que l’ancien peuple est réprouvé pour son infidélité, le nouveau peuple s’augmente tous les jours parmi les Gentils : l’alliance faite autrefois avec Abraham s’étend, selon la promesse, à tous les peuples du monde qui avaient oublié Dieu : l’Église chrétienne appelle à lui tous les hommes ; et tranquille durant plusieurs siècles, parmi des persécutions inouïes, elle leur montre à ne point attendre leur félicité sur la terre.

 

C’était là, Monseigneur, le plus digne fruit de la connaissance de Dieu, et l’effet de cette grande bénédiction que le monde devait attendre par Jésus-Christ. Elle allait se répandant tous les jours de famille en famille, et de peuple en peuple : les hommes ouvraient les yeux de plus en plus pour connaître l’aveuglement où l’idolâtrie les avait plongés ; et malgré toute la puissance romaine, on voyait les chrétiens, sans révolte, sans faire aucun trouble, et seulement en souffrant toutes sortes d’inhumanités, changer la face du monde, et s’étendre par tout l’univers.

 

La promptitude inouïe avec laquelle se fit ce grand changement, est un miracle visible. Jésus-Christ avait prédit que son Évangile serait bientôt prêché par toute la terre : cette merveille devait arriver incontinent après sa mort; et il avait dit, qu’après qu’on l’aurait élevé de terre, c’est-à-dire qu’on L’aurait attaché à la croix, il attirerait à lui toutes choses1. Ses apôtres n’avaient pas encore achevé leur course, et saint Paul disait déjà aux Romains, que leur foi était annoncée dans tout le monde. Il disait aux Colossiens que l’Évangile était ouï « de toute créature qui était sous le ciel; qu’il était prêché, qu’il fructifiait, qu’il croissait par tout l’univers. » Une tradition constante nous apprend que saint Thomas le porta aux Indes, et les autres en d’autres pays éloignés. Mais on n’a pas besoin des histoires pour confirmer cette vérité : l’effet parle ; et on voit assez avec combien de raison saint Paul applique aux apôtres ce passage du Psalmiste : « Leur voix s’est fait entendre par toute la terre, et leur parole a été portée jusqu’aux extrémités du monde.» Sous leurs disciples, il n’y avait presque plus de pays si reculé et si inconnu où l’Évangile n’eût pénétré. Cent ans après Jésus-Christ, saint Justin comptait déjà parmi les fidèles beaucoup de nations sauvages, et jusqu’à ces peuples vagabonds qui erraient de ça et de là sur des chariots sans avoir de demeure fixe. Ce n’était point une vaine exagération ; c’était un fait constant et notoire, qu’il avançait en présence des empereurs, et à la face de tout l’univers. Saint Irénée vient un peu après, et on voit croître le dénombrement qui se faisait des églises. Leur concorde était admirable : ce qu’on croyait dans les Gaules, dans les Espagnes, dans la Germanie, on le croyait dans l’Égypte et dans l’Orient ; et comme « il n’y avait qu’un même » soleil dans tout l’univers, on voyait dans toute l’Église, depuis une extrémité du monde à l’autre, la même lumière de la vérité. »

 

Si peu qu’on avance, on est étonné des progrès qu’on voit. Au milieu du troisième siècle, Tertullien et Origène font voir dans l’Église des peuples entiers qu’un peu devant on n’y mettait pas. Ceux qu’Origène exceptait, qui étaient les plus éloignés du monde connu, y sont mis un peu après par Arnobe. Que pouvait avoir vu le monde pour se rendre si promptement à Jésus-Christ? S’il a vu des miracles, Dieu s’est mêlé visiblement dans cet ouvrage : et s’il se pouvait faire qu’il n’en eût pas vu, ne serait-ce pas un nouveau miracle, plus grand et plus incroyable que ceux qu’on ne veut pas croire, d’avoir converti le monde sans miracle, d’avoir fait entrer tant d’ignorants dans des mystères si hauts, d’avoir inspiré à tant de savants une humble soumission, et d’avoir persuadé tant de choses incroyables à des incrédules ?

 

Mais le miracle des miracles, si je puis parler de la sorte, c’est qu’avec la foi des mystères, les vertus les plus éminentes et les pratiques les plus pénibles se sont répandues par toute la terre. Les disciples de Jésus-Christ l’ont suivi dans les voies les plus difficiles. Souffrir tout pour la vérité, a été parmi ses enfants un exercice ordinaire ; et pour imiter leur Sauveur ils ont couru aux tourments avec plus d’ardeur que les autres n’ont fait aux délices. On ne peut compter les exemples ni des riches qui se sont appauvris pour aider les pauvres, ni des pauvres qui ont préféré la pauvreté aux richesses, ni des vierges qui ont imité sur la terre la vie des anges, ni des pasteurs charitables qui se sont faits tout à tous, toujours prêts à donner à leur troupeau non seulement leurs veilles et leurs travaux, mais encore leurs propres vies. Que dirai-je de la pénitence et de la mortification? Les juges n’exercent pas plus sévèrement la justice sur les criminels, que les pécheurs pénitents l’ont exercée sur eux-mêmes. Bien plus, les innocents ont puni en eux avec une rigueur incroyable cette pente prodigieuse que nous avons au péché. La vie de saint Jean-Baptiste, qui parut si surprenante aux Juifs, est devenue commune parmi les fidèles ; les déserts ont été peuplés de ses imitateurs ; et il y a eu tant de solitaires, que des solitaires plus parfaits ont été contraints de chercher des solitudes plus profondes ; tant on a fui le monde, tant la vie contemplative a été goûtée.

 
Tels étaient les fruits précieux que devait produire l’Évangile. L’Église n’est pas moins riche en exemples qu’en préceptes, et sa doctrine a paru sainte en produisant une infinité de saints. Dieu, qui sait que les plus fortes vertus naissent parmi les souffrances, l’a fondée par le martyre, et l’a tenue durant trois cents ans dans cet état, sans qu’elle eût un seul moment pour se reposer. Après qu’il eut fait voir, par une si longue expérience, qu’il n’avait pas besoin du secours humain ni des puissances de la terre pour établir son Église, il y appela enfin les empereurs, et fit du grand Constantin un protecteur déclaré du christianisme. Depuis ce temps, les rois ont accouru de toutes parts à l’Église ; et tout ce qui était écrit dans les prophéties, touchant sa gloire future, s’est accompli aux yeux de toute la terre.

 

Que si elle a été invincible contre les efforts du dehors, elle ne l’est pas moins contre les divisions intestines. Ces hérésies, tant prédites par Jésus-Christ et par ses apôtres, sont arrivées, et la foi persécutée par les empereurs souffrait en même temps des hérétiques une persécution plus dangereuse. Mais cette persécution n’a jamais été plus violente que dans le temps où l’on vit cesser celle des païens. L’enfer fit alors ses plus grands efforts pour détruire par elle-même cette Église que les attaques de ses ennemis déclarés avoient affermie. A peine commençait-elle à respirer par la paix que lui donna Constantin; et voilà qu’Arius, ce malheureux prêtre, lui suscite de plus grands troubles qu’elle n’en avait jamais souffert. Constance, fils de Constantin, séduit par les Arien dont il autorise le dogme, tourmente les catholiques par toute la terre ; nouveau persécuteur du christianisme, et d’autant plus redoutable, que sous le nom de Jésus-Christ, il fait la guerre à Jésus-Christ même. Pour comble de malheurs, l’Église ainsi divisée tombe entre les mains de Julien l’Apostat, qui met tout en œuvre pour détruire le christianisme, et n’en trouve point de meilleur moyen que de fomenter les factions dont il était déchiré. Après lui vient un Valens, autant attaché aux Ariens que Constance, mais plus violent. D’autres empereurs protégent d’autres hérésies avec une pareille fureur. L’Église apprend, par tant d’expériences, qu’elle n’a pas moins à souffrir, sous les empereurs chrétiens, qu’elle avait souffert sous les empereurs infidèles, et qu’elle doit verser du sang pour défendre non seulement tout le corps de sa doctrine, mais encore chaque article particulier. En effet, il n’y en a aucun qu’elle n’ait vu attaqué par ses enfants. Mille sectes et mille hérésies sorties de son sein se sont élevées contre elle. Mais si elle les a vues s’élever, selon les prédictions de Jésus-Christ, elle les a vues tomber toutes, selon ses promesses, quoique souvent soutenues par les empereurs et par les rois. Ses véritables enfants ont été, comme dit saint Paul, reconnus par cette épreuve ; la vérité n’a fait que se fortifier quand elle a été contestée, et l’Église est demeurée inébranlable ».

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