Au sujet de « Amoris laetitia »: le cardinal Caffara s’explique dans le quotidien italien Il Foglio
publié dans magistère du pape François le 19 janvier 2017
Le cardinal Caffarra évoque une grave confusion dans l’Eglise – Ière partie
« La division entre les pasteurs est la cause de la lettre que nous avons envoyée à François et non son effet. Les insultes et les menaces de sanctions canoniques sont des choses indignes. » « Une Église qui porte peut d’attention à la doctrine n’est plus pastorale mais seulement ignorante. »
C’est avec ses mots clairs et nets, que l’archevêque émérite de Bologne, le cardinal Caffarra, un des quatre signataires des dubia envoyés au pape François, commente, pour le quotidien italien Il Foglio, l’actuelle situation de confusion de l’Église et la division parmi les évêques actuels générés par l’Exhortation bergoglienne Amoris Laetitia.
« Je crois que certaines choses doivent être clarifiées. La lettre, et les dubiaattachés, a été longuement mûrie, pendant des mois, et longuement discutée entre nous. Pour ce qui me concerne, elle a été aussi longuement priée devant le Saint-Sacrement. »
« Nous étions conscients, explique-t-il, que le geste que nous allions accomplir était très sérieux. Nos préoccupations étaient deux. La première était de ne pas scandaliser les faibles dans la foi. Pour nous pasteurs c’est un devoir fondamental. La seconde préoccupation était que personne, croyante ou incroyante, puisse trouver dans la lettre des expressions qui pourraient apparaître même vaguement comme un manque de respect envers le pape. Le texte final est donc le fruit de nombreuses révisions : textes revus, rejetés, corrigés. »
Le cardinal Caffarra continue : « Qu’est-ce qui nous a poussé à ce geste ? Une considération de caractère général-structurel et une de caractère contingent-conjoncturel. Commençons par la première : Il existe pour nous cardinaux le devoir de conseiller le pape dans le gouvernement de l’Église. C’est un devoir et les devoirs obligent. De caractère plus contingent en revanche est le fait – que seulement un aveugle peut nier- que dans l’Église il existe une grande confusion, incertitude, insécurité causées par certains paragraphes d’Amoris Laetitia. Ces derniers mois il est advenu que sur les questions fondamentales qui regardent l’économie sacramentelle (mariage, confession et communion) et la vie chrétienne, certains évêques ont dit A, d’autres ont dit le contraire de A. Avec l’intention d’interpréter correctement les mêmes textes. Et « cela est un fait qui ne peut être nié parce que les faits sont têtus» comme disait David Hume. La voie de sortie de « ce conflit d’interprétation » était le recours aux critères interprétatifs théologiques fondamentaux, qui permettent raisonnablement de montrer que Amoris Laetitia ne contredit pas Familiaris consortio. Personnellement, dans des rencontres publiques avec des laïcs et des prêtres j’ai toujours suivi cette voie. » « Mais poursuit le cardinal, nous nous sommes rendus compte que ce modèle épistémologique n’était pas suffisant. Le contraste entre ces deux interprétations continuait. Il n’y avait qu’une seule manière pour en venir à bout : demander à l’auteur du texte interprété de deux manières contradictoires quelle est l’interprétation juste. Il n’y a pas d’autre voie. Se posait, alors, le problème de comment s’adresser au Pontife. Nous avons choisi une voie très traditionnelle dans l’Église, les fameux dubia. »
Le cardinal explique ce choix : « Parce que il s’agit d’un instrument qui, dans le cas où selon son jugement souverain le Saint Père avait voulu répondre, ne l’obligeait pas à donner des réponses élaborées et longues. Il devait répondre seulement par Oui ou Non. Et renvoyer, comme souvent les papes l’ont fait, aux auteurs approuvés par les autorités (dans le jargon, probati auctores) ou demander à la Doctrine pour la Foi d’émettre une déclaration conjointe pour expliquer le Oui ou le Non. Cela nous semblait la voie la plus simple. L’autre question qui se posait était si le faire en privé ou en public. Nous avons réfléchi et convenu que cela serait un manque de respect de rendre tout public dès le début. Aussi cela a été fait de manière privée, et seulement quand nous avons eu la certitude que le Saint père n’aurait pas répondu, nous avons décidé de publier. » « Nous avons interprété, continue-t-il, le silence comme une autorisation à poursuivre la confrontation théologique. Et, en outre, le problème concerne tellement profondément et le magistère des évêques (qu’ils exercent, ne l’oublions pas, non par délégation du pape mais par la force du sacrement qu’ils ont reçu) et la vie des fidèles. Les uns et les autres ont le droit de savoir. Beaucoup de fidèles et de prêtres disaient : « Mais vous cardinaux dans une situation comme celle-ci vous avez l’obligation d’intervenir auprès du Saint Père.Autrement pourquoi existez-vous si ce n’est pas pour aider le pape dans des questions si sérieuses ? » Beaucoup de fidèles étaient de plus en plus visiblementscandalisés, presque comme si nous nous comportions comme les chiens qui n’aboient pas dont parle le prophète. Ce sont les raisons derrière ces deux pages. »
« Certaines personnes, reconnaît le cardinal Caffarra, continuent à dire que nous ne sommes pas dociles au magistère du pape. C’est faux et calomnieux. C’est bien parce que nous ne voulons pas être indociles que nous avons écrit au pape. Je peux être docile au magistère du pape si je sais ce que le pape enseigne en matière de foi et de vie chrétienne. Mais le problème est exactement celui-ci : sur des points fondamentaux on ne comprend pas bien ce que le pape enseigne, comme le démontre le conflit d’interprétation entre les évêques. Nous voulons être dociles au magistère du pape, mais le magistère du pape doit être clair. Aucun de nous a voulu « obliger » le Saint Père à répondre : dans la lettre nous avons parlé de jugement souverain. Simplement et respectueusement nous avons posé des questions qui ne méritent pas enfin de compte les accusations de vouloir diviser l’Église. La division, qui existe déjà dans l’Église, est la cause de cette lettre et non son effet. Dans un contexte comme celui-ci, les insultes et les menaces de sanctions canoniques sont en revanche des choses indignes dans l’Église. Dans l’introduction de la lettre, on constatait « un grave désarroi de beaucoup de fidèles et une grande confusion par rapport à des questions très importantes de la vie de l’Église. » (Traduction de Francesca de Villasmundo)
IIe partie
Le cardinal Caffarra, un des signataires des dubia envoyés au pape au sujet d’Amoris laetitia, explique cette démarche au quotidien italien Il Foglio. Après avoir explicité les raisons de ce geste dans une première partie, il en vient à commenter la confusion et le désarroi qu’il perçoit chez les prêtres à cause des ambiguïtés de l’Exhortation bergoglienne, sources de multiples interprétations. Nous noterons que le cardinal Caffarra, tout en ayant le souci de préserver l’indissolubilité du mariage et la discipline sacramentelle traditionnelle qui interdit à toute personne vivant en état de péché grave de s’approcher des sacrements, s’appuie cependant pour défendre sa position, et celle de ses trois collègues cardinaux, sur l’enseignement post-conciliaire de Jean-Paul II… Comme l’a rappelé fort justement un éminent écrivain brésilien catholique de tradition, Atila Sinke Guimarães, dans un récent article sur les dubia,
« Jean-Paul II était loin d’être un maître d’une saine moralité. Bien qu’il répéta parfois l’enseignement traditionnel de l’Église, de manière habituelle, son approche morale était tributaire du personnalisme de Max Scheler, qui est opposé à la philosophie traditionnelle de l’Église. Sa théologie du corps est clairement immorale ; les éloges du nudisme ne sont pas rares dans ses travaux, et, lors des Journées Mondiales de la Jeunesse, il a implicitement promu l’amour libre parmi les jeunes. Si les Cardinaux souhaitaient défendre la morale pérenne de l’Église, pourquoi se sont-ils basés eux-mêmes à une source contaminée ? »
D’ailleurs, les tenants de la communion aux divorcés remariés civilement s’appuient également sur l’enseignement moral et sexuel du pape polonais : pour eux Amoris Laetitia est dans sa continuité et n’en est que le développement harmonieux !
Il est évident pour tout esprit catholique attaché à la Tradition immuable de l’Église catholique que le combat de ces quatre cardinaux, tout en ayant le mérite d’exister et de rappeler l’enseignement traditionnel pour la réception des sacrements, pèche par l’absence de remise en question de la cause première et fondamentale du désastreAmoris Laetitia : l’esprit libéral, moderniste, ambigu et protestant qui a pénétré profondément les mentalités catholiques ces dernières décennies suite au concile Vatican II qui a voulu ouvrir et adapter l’Église catholique au monde moderne en favorisant pour venir en aide aux hommes de Notre Temps non une meilleure compréhension et explication de la doctrine catholique, ce qui a toujours été permis par l’Église et la Tradition, mais son évolution progressiste quitte à en devenir contradictoire… D’immuable la doctrine bi-millénaire de l’Église est devenue changeante, instable, mutable : Amoris laetitia n’est en fait qu’une des expressions, il est vrai très visible donc plus choquante, de cet évolutionnisme destructeur du dogme, d’habitude plus sournois ! La confusion qui en ressort n’en est que plus manifeste et provoque la réaction du cardinal Caffarra.
« J’ai reçu une lettre d’un curé, continue le cardinal Caffarra dans son entretien àIl Foglio, qui est une photographie parfaite de ce qui est en train d’arriver. Il m’écrivait : « Dans la direction spirituelle et dans la confession je ne sais plus quoi dire. Au pénitent qui me dit : je vis pleinement comme mari d’une femme divorcée et maintenant je reçois la communion, je propose un cheminement dans le but de corriger cette situation. Mais le pénitent m’arrête et répond tout de suite : Vous savez, père, le pape a dit que je peux recevoir l’eucharistie, même si je n’ai pas l’intention de vivre dans la continence. Moi, je n’en peux plus de cette situation. L’Église peut tout me demander, mais pas de trahir ma conscience. Et ma conscience fait objection à ce supposé enseignement pontifical qui admet à la communion, selon certaines circonstances, les personnes qui vivent more uxorio(comme mari et femme, ndlr) sans être mariées. » Ainsi m’écrivait le curé. La situation de bien des pasteurs d’âmes, je parle surtout des curés, est celle-ci : ils ont sur les épaules un poids qu’ils ne sont pas en mesure de porter. C’est à cela que je pense quand je parle d’un grand désarroi. Et je parle des curés, mais beaucoup de fidèles sont encore plus désemparés. Nous sommes en train de parler de questions qui ne sont pas secondaires. On n’est pas en train de discuter si le poisson rompt ou ne rompt pas l’abstinence. Il s’agit de questions très graves pour la vie de l’Église et pour le salut éternel des fidèles. Ne l’oublions jamais : c’est la loi suprême dans l’Église, le salut éternel des fidèles. Pas d’autres préoccupations. Jésus a fondé son Église pour que les fidèles aient la vie éternelle et l’aient en abondance. »
La division à laquelle fait référence le cardinal Caffarra est suscitée par les interprétations contradictoires des paragraphes 300 à 305 d’Amoris Laetitia : pour beaucoup de personnes, y compris des évêques, se trouve confirmer ainsi un virage non seulement pastoral mais aussi doctrinal. D’autres en revanche pensent que c’est en continuité avec le magistère précédent Question du journaliste d’Il Foglio au cardinal : « comment sortir d’une telle équivoque ?«
« Je préciserais deux prémices très importantes. Penser une praxis pastorale qui n’est pas fondée et enracinée dans la doctrine signifie fonder et enraciner la praxis pastorale sur l’arbitraire. Une Église qui porte peu d’attention à la doctrine n’est pas une Église plus pastorale mais une Église plus ignorante. La Vérité dont nous parlons n’est pas une vérité formelle mais une Vérité qui donne la salut éternel : Veritas salutaris, en termes théologiques. (…) Il y a des vérités que j’appelle existentielles. S’il est vrai comme Socrate l’avait déjà enseigné, qu’il vaut mieux subir une injustice plutôt que de la commettre, j’énonce une vérité qui pousse ma liberté à agir d’une manière totalement différente que si le contraire était vrai. Quand l’Église parle de vérité elle parle de vérité existentielle laquelle génère la vraie vie. Quand j’entends que c’est seulement un changement pastoral et non doctrinal, ou que le commandement qui interdit l’adultère n’est qu’une loi purement positive qui peut être changée (et je pense qu’aucune personne droite ne peut retenir cela), alors cela signifie admettre que oui le triangle a généralement trois côtés mais qu’il y a la possibilité d’en construire un avec quatre côtés. Ce qui est une chose absurde. Déjà les médiévaux d’ailleurs disaient : theoria sine praxi, currus sine axi; praxis sine theoria, caecus in via”.
La seconde prémisse regarde « le grand thème de l’évolution de la doctrine qui a toujours accompagné la pensée chrétienne. Et que nous savons a été repris de manière magnifique par le bienheureux John Henry Newman. S’il y a un point qui est clair c’est qu’il n’y a pas d’évolution là où il y a contradiction. Si je dis ques est p puis je dis que s n’est pas p, la seconde proposition ne développe pas la première mais la contredit. Déjà Aristote avait justement enseigné qu’énoncer une proposition universelle affirmative (ex : chaque adultère est injuste) et au même moment une proposition particulière négative ayant le même sujet et proposition (ex : certains adultères ne sont pas injustes), on ne fait pas une exception à la première, on la contredit. Enfin, si je voulais définir la logique chrétienne, j’utiliserais l’expression de Kierkegaard : « toujours bouger, en restant toujours immobile au même point. »
Le problème ajoute le cardinal « c’est de savoir si les fameux paragraphes 300-305 d’Amoris laetitia et la fameuse note n°351 sont ou ne sont pas en contradiction avec le magistère précédent des pontifes qui ont affronté cette question. Selon beaucoup d’évêques c’est une contradiction. Selon beaucoup d’autres évêques il ne s’agit pas d’une contradiction mais d’un développement. Et c’est pour cela que nous avons demandé un réponse au pape. »
En effet le point le plus contesté et qui a animé les discussions synodales fut bien la possibilité de concéder aux divorcés remariés civilement l’accès à l’eucharistie. On ne trouve pas cela dit aussi explicitement dans Amoris laetitia mais selon de nombreux ecclésiastiques c’est un fait implicite qui ne représente qu’une évolution cohérente par rapport au N° 84 de l’Exhortation Familiaris consortio de Jean-Paul II. Or le cardinal Caffarra invoque Familiaris consortio pour défendre sa position (comme quoi l’ambiguïté ne date pas de François !) :
« Le nœud du problème est le suivant, explique le cardinal Caffarra. Le ministre de l’Eucharistie peut-il donner la communion à une personne qui vit more uxorio avec une femme ou un homme qui n’est pas sa femme ou son mari, et qui n’entend pas vivre dans la continence ? Les réponses sont deux : Oui ou Non. Personne d’ailleurs ne met en question que Familiaris consortio, Sacramentum unitatis, le Code de Droit canon et le Catéchisme de l’Église catholique répondent Non à cette question. Un Non valide jusqu’à ce que le fidèle ne propose pas d’abandonner l’état de cohabitation more uxorio. Amoris Laetitia enseigne-t-elle que, selon certaines circonstances précises et selon un certain parcours, le fidèle pourrait accéder à la communion sans s’engager à la continence ? Il y a des évêques qui enseignent que c’est possible. Par logique il faut alors enseigner que l’adultère n’est pas en soi et par soi un mal. Il n’est pas pertinent d’invoquer, même si cela est malheureusement très répandu, l’ignorance ou l’erreur par rapport à l’indissolubilité du mariage. Cette invocation a une valeur interprétative non indicative. Elle doit être utilisée comme méthode pour discerner l’imputabilité des actions déjà accomplies, elle ne peut être le principe pour des actions à accomplir. Le prêtre a le devoir d’illuminer l’ignorant et de corriger celui qui erre.
Ce qu’Amoris laetitia a apporté de nouveau sur cette question, c’est l’avertissement auprès des pasteurs de ne pas se contenter de répondre Non (ne pas se contenter de répondre Non ne signifie pas répondre Oui) mais de prendre en main la personne et de l’aider à grandir jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’elle se trouve dans une situation telle qui ne lui permet pas de recevoir la communion si elle ne sort pas de l’intimité propre aux époux. Mais cela ne veut pas dire que le prêtre puisse lui dire « j’aide votre cheminement en vous donnant aussi les sacrements ». Et c’est sur ce point que la note n° 351 du texte est ambiguë. Si je dis à cette personne qu’elle ne peut pas avoir des rapports sexuels avec quelqu’un qui n’est pas son mari ou son épouse, mais que pour l’instant, étant donné l’effort qu’elle fait, elle peut en avoir… seulement un plutôt que trois par semaine, cela n’a pas de sens ; et je ne suis pas miséricordieux vis-à-vis de cette personne. Parce que pour mettre fin à un comportement habituel – un habitus, diraient les théologiens – il faut qu’il y ait un ferme propos de ne plus accomplir aucun acte propre à ce comportement. Dans le bien il y a un progrès, mais entre laisser faire le mal et commencer à accomplir le bien, il y a un choix instantané, même si longuement préparé. Durant une certaine période Augustin priait : « Seigneur, donne-moi la chasteté, mais ne le fais pas tout de suite. » (Traduction de Francesca de Villasmundo)
IIIe partie
sur la conception moderne de la conscience, suprême arbitre du bien et du mal.
Suite du long entretien au quotidien italien Il Foglio du cardinal Caffarra, un des signataires des dubia envoyés au pape au sujet d’Amoris laetitia.
Après avoir explicité les raisons de cet envoi dans une première partie, dans undeuxième temps, il a commenté la confusion et le désarroi qu’il perçoit chez les prêtres à cause des ambiguïtés de l’Exhortation bergoglienne, sources de multiples interprétations. Dans une troisième partie ci-dessous, le cardinal Caffarra fait le procès, à juste titre, de la conception moderne du pardon de Dieu et de la conscience qui inspirent le subjectivisme contenu dans Amoris Laetitia. Ainsi que nous l’avons déjà noté, il s’appuie sur l’enseignement conciliaire et post-conciliaire pour défendre l’indissolubilité du mariage et la discipline sacramentelle traditionnelle. Or les erreurs libérales, et apostates, d’Amoris laetitia sont en germe dans l’enseignement moderniste et progressiste du Concile. Par exemple, dans le décret conciliaireGaudium et Spes qui exalte l’homme : «tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet ». L’Église y proclame les droits de l’homme et la liberté absolue de l’homme et de sa conscience. Amoris Laetitia pousse ces raisonnements à leur point ultime ! Si l’action de ces quatre cardinaux romains est donc louable, il n’en reste pas moins que si les causes profondes de la confusion ne sont pas discernées, jugées et condamnées, elles produiront à nouveau les mêmes erreurs morales à l’avenir, dans un cercle vicieux sans fin.
Faut-il noter d’ailleurs que depuis un demi-siècle de nombreuses erreurs doctrinales qui favorisent l’hérésie tels les éloges de l’hérétique Luther émis tant par Jean-Paul II que François, et d’actes proprement blasphématoires et apostats telles les réunions œcuméniques d’Assise mises à la mode par le pape polonais et reprises par tous ses successeurs, ont largement relativisé, sapé et miné la doctrine et la morale catholique sans soulever, à part chez quelques irréductibles dinosaures catholiques, de réactions scandalisées au sein des ecclésiastiques conciliaires. Plutôt un silence éloquent…Presque toutes les barrières doctrinales et liturgiques ont ainsi été jetées à bas en 50 ans sous le regard impassible de ces mêmes cardinaux qui aujourd’hui s’émeuvent des dérives morales bergogliennes !
Aujourd’hui, c’est en effet, après que les autres enseignements traditionnels de l’Église ont été détruits, au tour de l’enseignement moral de l’Église de prendre des coups. François le bouleverse savamment, en s’appuyant, rappelons-le sur le concile Vatican II. Or en attaquant l’indissolubilité du mariage il porte préjudice aussi à l’unité naturelle de la cellule familiale, base première de la société, et ébranle, par ricochet, la loi morale naturelle inscrite en chaque homme. Toute personne saine, croyante ou incroyante, perçoit alors que l’altération de la loi morale naturelle, couplée avec l’érection de la conscience individuelle comme critère suprême du bien et du mal, aura des effets dévastateurs, ravageurs, exterminateurs, sur la société toute entière, les règles morales, la vie sociale, la justice, l’unité familiale… L’Individu-Roi s’érigera en maître absolu du bien et du mal selon son propre plaisir et sans plus aucunes limites naturelles : c’est le retour à la barbarie garanti mais ce sera pire que la barbarie !
Pour que la société moderne ne sombre pas totalement dans cette barbarie anti-civilisationnelle, anti-naturelle et inhumaine qui avance à grands pas, la lutte contreAmoris Laetitia est donc, et avant tout peut-être, une lutte primordiale pour la survie de la loi naturelle mise à mal ouvertement par les idéologies homosexualistes, transhumanistes et gender, mais aussi actuellement par des ecclésiastiques imbus d’esprit du monde. L’enjeu est donc non seulement catholique mais aussi anthropologique ! Le cardinal Caffarra semble bien en être conscient.
En revenant sur le problème des paragraphes ambigus d’Amoris Laetitia, il se penche sur le problème des actes intrinsèquement mauvais en eux-mêmes et par eux-mêmes :
« Ici [dans Amoris laetitia], ce qui est en question est ce qu’enseigne Veritatis splendor. Cette encyclique (6 août 1993) est un document hautement doctrinal, dans les intentions du pape « saint » Jean-Paul II, au point que, chose exceptionnelle désormais dans les encycliques, elle est adressée seulement aux évêques en tant que responsables de la foi que l’on doit croire et vivre (cf. n°5). Le pape, à la fin, leur recommande d’être vigilants par rapport aux doctrines condamnées ou enseignées par l’encyclique elle-même. Les unes pour qu’elles ne se diffusent pas dans les communautés chrétiennes, les autres pour qu’elles soient enseignées (cf. n° 116). Un des enseignements fondamentaux du document consiste à dire qu’il existe des actes qui peuvent par eux-mêmes et en eux-mêmes, indépendamment des circonstances dans lesquelles ils sont réalisés et du but que le sujet se propose, être qualifiés de mauvais. Et il ajoute que nier ce fait peut comporter une négation du sens du martyre (cf. n° 90-94). Chaque martyr en effet aurait pu dire : « Mais moi je me trouve dans une circonstance … en de telles situations que l’obligation de professer ma foi ou d’affirmer l’intangibilité d’un bien moral ne m’oblige plus. » Pensons aux difficultés que la femme de Thomas More faisait à son époux déjà condamné en prison : « Tu as des devoirs envers la famille, envers les enfants. » Ce n’est donc pas seulement un discours de foi. Même si j’utilise seulement la droite raison, je vois que nier l’existence d’actes intrinsèquement mauvais, c’est nier qu’il existe une frontière que les puissants de ce monde ne peuvent et ne doivent pas outrepasser. Socrate a été le premier en Occident à comprendre cela. La question est donc grave, et sur cela on ne peut laisser d’incertitudes. C’est pourquoi nous nous sommes permis de demander au pape de clarifier les choses puisqu’il y a des évêques qui semblent nier ce fait en se référant à Amoris laetitia. L’adultère en effet a toujours été considéré un acte intrinsèquement mauvais. Il suffit de lire ce que dit Jésus le concernant, saint Paul et les commandements donnés à Moïse par le Seigneur. »
La confusion consiste aujourd’hui à excuser le péché jusqu’au stade de le favoriser sous le prétexte que Dieu pardonne tout :
« Ici on fait une grande confusion, explique le cardinal. Tous les péchés et les choix intrinsèquement malhonnêtes peuvent être pardonnés. Donc « intrinsèquement malhonnête » ne signifie pas «impardonnable.» Jésus cependant ne se contente pas de dire à la femme adultère : « Moi-aussi je ne te condamne pas. » Il lui dit aussi : « Va et dorénavant ne pèche plus. » (St Jean 8, 12). Saint Thomas, s’inspirant de saint Augustin, fait un commentaire très beau quand il écrit que «Il aurait pu dire : va et vis comme tu veux, sois certaine de mon pardon. Nonobstant tous tes péchés, je te libère des tourments de l’enfer. Mais le Seigneur qui n’aime pas la faute et ne favorise pas le péché, condamne la faute… en disant : et dorénavant ne pèche plus. On voit ainsi combien le Seigneur apparaît tendre dans sa miséricorde et juste dans sa Vérité. » Nous sommes vraiment, et ce n’est pas une façon de parler, libres devant le Seigneur. Et donc le Seigneur ne nous jette pas à la figure son pardon. Il doit y avoir un merveilleux et mystérieux mariage entre l’infinie miséricorde de Dieu et la liberté de l’homme, lequel doit se convertir pour être pardonner. »
La confusion qui règne à propos d’Amoris Laetitia dérive également d’une conception moderniste de la conscience individuelle : nombreux sont les pasteurs qui croient que la conscience est une faculté pour décider de façon autonome ce qui est bien ou mal et qu’en dernier recours la parole décisive revient à la conscience de l’individu. Pour le cardinal Caffarra c’est le point le plus important :
« Je retiens que cela soit le point le plus important de tous. C’est le point sur lequel nous nous rencontrons et nous nous affrontons avec la colonne portante de la modernité. » (Traduction de Francesca de Villasmundo)