Analyse sur un pontificat, celui du pape François.
publié dans nouvelles de chrétienté le 20 mars 2017
(Source : Correspondance européenne | 332)
Le quatrième anniversaire de l’élection du pape François voit l’Eglise catholique lacérée de profondes divisions. « C’est une page inédite de l’histoire de l’Eglise – me confie un haut prélat du Vatican, d’un ton préoccupé – et personne ne peut dire quelle sera l’issue de cette crise sans précédents ».
Les médias, qui dès le début avaient exprimé un soutien massif au pape Bergoglio, commencent à manifester une certaine perplexité. «On n’a jamais vu autant d’oppositions au pape, pas même du temps de Paul VI », admet l’historien Andrea Riccardi, d’après lequel, cependant,«la leadership du pape est forte » (Corriere della Sera, 13 mars 2017). Trop forte pour beaucoup qui accusent le pape d’autoritarisme et voient dans les contestations anonymes exprimées par des affiches, épigrammes, vidéos qui tournent sur le web, la confirmation du climat de peur qui règne au Vatican. Sarcasme et anonymat sont les caractéristiques de la dissension qui naît dans les régimes totalitaires lorsque personne n’ose sortir à découvert par peur des rétorsions du pouvoir.
Et aujourd’hui dans l’Eglise la résistance au pape Bergoglio progresse. Le site LifeSiteNews a publié une liste des évêques et cardinaux qui ont publiquement exprimé leur soutien ou leur opposition aux « dubia » présentés au pape le 16 septembre 2016 par quatre cardinaux. Ils sont un certain nombre, auxquels il faut en outre ajouté la voix de qui, comme le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, critique le pontificat de Bergoglio pour sa politique en faveur du gouvernement communiste chinois, qu’il qualifie de « dialogue avec Hérode ».
Les catholiques fidèles à l’enseignement pérenne de l’Eglise dénoncent la nouveauté d’un pontificat qui, de facto, bouleverse la morale traditionnelle. Les novateurs se disent insatisfaits d’une « ouverture » qui se produit de façon seulement implicite, sans se concrétiser par des gestes de fracture véritable avec le passé. Le correspondant du Spiegel Walter Mayr, le 23 décembre dernier, a rapporté certaines paroles que le pape aurait confiées à un groupe restreint de collaborateurs : «Il n’est pas exclu que je passe à l’histoire comme celui qui a divisé l’Eglise catholique ».
On a la sensation d’être à la veille d’une confrontation doctrinale au sein de l’Eglise qui sera d’autant plus violente qu’on cherchera à l’éviter ou à la retarder, sous le prétexte de ne pas compromettre une unité ecclésiale depuis longtemps déjà dissoute. Mais une deuxième guerre, cette fois non métaphorique, menace. Le quatrième anniversaire du pontificat a coïncidé avec les lourdes menaces du premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan contre la Hollande, coupable de ne pas offrir ses places aux propagandistes du sultan d’Ankara. Ce même Erdogan, en novembre dernier, a menacé d’envahir l’Europe de millions de migrants si Bruxelles interrompt les pourparlers pour une entrée rapide de la Turquie dans l’Union Européenne. Mais pour le pape François, ces masses migratoires sont une opportunité et un défi.
Protéger les migrants est un «impératif moral » a rappelé ces derniers jours le pape, qui, après l’institution d’un dicastère pour le Développement humain intégral, s’est réservé la direction directe de la section en charge des migrants. Un brillant auteur français, Laurent Dandrieu, a publié un essai sous le titre Église et immigration.
Le grand malaise (Presses de la Renaissance, Paris 2016) dans lequel il dénonce l’attitude politique du pape Bergoglio, intitulant un chapitre de son ouvrage : De Lépante à Lesbos, l’Eglise dans une idôlatrie de l’accueil ?Alors que l’Europe est submergée par une vague migratoire sans précédents, le pape François a fait du « droit à émigrer » et du « devoir d’accueillir » les fondements de sa politique, faisant fi du droit des nations européennes de défendre leur propre identité religieuse et culturelle. C’est là la « conversion pastorale » qu’il exige de l’Eglise : la renonciation aux racines chrétiennes de la société, sur laquelle Jean-Paul II et Benoît XVI avait tant insisté, pour dissoudre l’identité chrétienne dans un indistinct chaudron multi-éthnique et multi-religieux.
Le théologien de prédilection du pape, Víctor Fernández, Recteur de l’Université Pontificale Catholique Argentine, explique que la « conversion pastorale » doit s’entendre comme une transformation « qui mène l’Eglise entière à une “sortie d’elle-même », en renonçant à se centrer sur elle-même », autrement dit que l’Eglise renonce à son identité et sa tradition propre, pour assumer les identités multiples proposées par les périphéries du monde.
Mais l’invasion migratoire suscite nécessairement une réaction de l’opinion publique, pour défendre tout ce qui est aujourd’hui menacé : non seulement l’identité culturelle, mais aussi les intérêts économiques, la qualité de vie, la sécurité des familles et de la société. Face à une réaction qui peut parfois se manifester de façon exacerbée, l’Eglise catholique devrait tenir le rôle de celle qui maintient l’équilibre, mettant en garde contre les erreurs opposées, comme le fit Pie XI en mars 1937 par les deux encycliques dont on célèbre le quatre-vingtième anniversaire, Divini Redemptoris et Mit Brennender Sorge, qui condamnaient, respectivement, le communisme et le national-socialisme.
Aujourd’hui comme hier, en effet, une fausse alternative se dessine. D’une part les tenants d’une religion forte, l’Islam, opposée au catholicisme. De l’autre, les défenseurs d’une irréligion tout aussi forte, le relativisme. Les relativistes cherchent à prendre la direction des mouvements identitaires, pour leur donner une coloration anti-chrétienne. Le bergoglisme ouvre la voie à ces positions xénophobes et néopaïennes, en permettant aux relativistes d’accuser l’Eglise de collusion avec l’Islam. Le pape dit que repousser les immigrés est un acte de guerre. Mais c’est bien son appel à l’accueil sans discernement qui alimente la guerre. (Roberto de Mattei)