Fabienne Monclar
publié dans regards sur le monde le 22 mars 2017
(Source: PRÉSENT Samedi 18 mars 2017 www.present.fr
La croix comme emblème
Entretien avec Fabienne Monclar
Fabienne Monclar, dont Présent a signalé le beau livre sur son père, le général Monclar, vient de faire paraître un livre d’impressions et de souvenirs portant sur ses séjours, dans les années 90, aux côtés de son mari officier de Légion, au Nigeria et à Mayotte, titré La Blanche avec sa croix. Elle y évoque notamment la place de la religion en Afrique.
— Vous évoquez les persécutions actuelles au Nigeria contre les chrétiens. Que vous inspirent ces nouvelles dramatiques ?
— Ces divers bains de sang en Afrique ou en terre d’Orient, qui ne font que s’étendre, sont horribles. Je pense à tous mes amis chrétiens nigérians et je sais qu’ils mourront plutôt que de renier leur foi. Il faut savoir également que la carte des religions, au Nigeria, correspond plus ou moins avec celle des tribus : les gens de ma génération, en France, n’ont pas oublié le sort des Biafrais, en majorité́ catholiques, qui ont subi et subissent encore des persécutions. Dans les années 50, l’Eglise n’avait pas honte de sou- tenir avant tout les catholiques sur lesquels le sort s’acharnait. On reconnaît d’ailleurs sans peine un Biafrais à la tristesse qui marque son visage…
— Vous menez sans avoir l’air d’y toucher une analyse fort intéressante sur les différences d’état d’esprit entre ex-colonies anglosaxonnes et ex-colonies françaises. Pouvez-vous développer ?
— Effectivement, le Nigeria est une ancienne colonie anglaise. On en constate encore de nos jours les traces : le protestant ne fréquente pas l’indigène, alors que le catholique vit avec l’autochtone. Vous pouvez voir le bien-fondé́ de cette observation dans toutes nos anciennes colonies. Or, quand vous arrivez au Nigeria, vous constatez que le Blanc et le Noir ne se fréquentent pas, ce qui choque un Français catholique. Pour ma part, j’ai rencontré de nombreux Noirs et je m’y suis fait des amis, grâce à ma croix. Mgr Lefebvre et de nombreux missionnaires ont converti cette Afrique, et ceux qui ont été convertis alors gardent réellement les valeurs chrétiennes et les défendent.
— Le Nigeria est un pays où la religion se repartit à peu près de façon égale entre les chrétiens et les musulmans. Quelle attitude, selon vous, concernant l’affirmation de sa religion, est la meilleure ? Le titre de votre livre ne vous montre pas favorable à l’enfouissement…
— Depuis qu’au Nigeria la démocratie a été́ imposée, les musulmans, très majoritaires au Nord, y ont exigé la charia. Or je ne pense pas, comme nous le recommande le Pape, qu’il ne faille pas porter sa croix comme un emblème. Au contraire, il faut être fier de sa foi ! Sinon, les musulmans vous méprisent. Ils ont bien raison, d’ailleurs. Je suis fière de ma foi, j’ai toujours porté ma croix comme un emblème. C’est comme cela que je me suis fait des amis africains là-bas.
— Vous évoquez aussi votre séjour à Mayotte en parlant d’« islam modéré́ ». Cela existerait donc ?
— Cela existe à Mayotte puisqu’il s’agit d’un matriarcat : on ne peut pas faire moins islamique ! Mayotte s’est placée sous la protection de la France car ses habitants ont toujours été les esclaves des autres Comoriens. Le catholicisme a toujours interdit l’esclavage.
— Quels résultats selon vous entraîne le dialogue inter-religieux tel qu’il est souvent prôné́ de nos jours ?
— De fait, les musulmans ne veulent pas dialoguer avec les infidèles. Ils estiment que c’est une faiblesse. Je donne l’exemple d’un prêtre catholique, à Mayotte, qui refusait de faire sonner les cloches « pour ne pas gêner les musulmans ». C’est le cadi du coin – ce qui renforce mon affirmation comme quoi Mayotte connaît un islam modéré́ – qui a fait remarquer que les chrétiens avaient le droit de faire sonner leurs cloches. Cet aumônier catholique se montrait plus préoccupé́ des musulmans que des chrétiens. Il s’est d’ailleurs heurté aux légionnaires, qui l’appelaient « le père Turbé ». J’ai aussi connu au Nigeria un prêtre français qui ne voulait parler ni de la Vierge ni des saints « pour ne pas déplaire aux protestants ». Ce qui m’a profondément blessée ! Voilà un dialogue inter-religieux vraiment dévoyé́.
— Vous avez voulu assister à la messe en compagnie de vos boys catholiques, et non forcément « à la messe pour les Blancs ». Comment cela s’est-il passé ?
— Cela me paraissait la moindre des choses d’aller à la même messe qu’eux, qui travaillaient chez nous. Je parle beaucoup d’Emile, notre cuisinier, avec lequel je disais la prière du matin. C’est lui qui a proposé aux autres boys de l’ambassade de venir « faire la prière avec Madame ». Je suis donc allée à la messe locale et non aux messes pour les Blancs, qui avaient lieu dans diverses langues, selon les coutumes de l’Eglise actuelle. Je m’y suis retrouvée la seule Blanche. Nous avons aussi eu la chance de recevoir les missionnaires du Gabon, de la Fraternité́ Saint-Pie X. Les pères en soutane blanche, c’était magnifique, pour mes boys ! Ils étaient profondément heureux d’assister à la messe traditionnelle, qui honorait vraiment Dieu. Les pauvres trouvent leur richesse dans une belle liturgie, ils ont besoin du sacré. Les Africains touchent du doigt le sacré immédiatement, alors que les Européens ont tendance à en perdre le sens. Or, comme l’explique l’abbé́ de Tanoüarn, la liturgie traditionnelle est la liturgie du sacré, qui nous met à bon- ne distance des choses de Dieu : non pas une distance infranchissable, non pas une distance qui serait une barrière mais, en étant à bonne distance, c’est ainsi que l’on peut aimer ce qui nous dépasse.
bienne La Blanche avec sa croix, Fabienne Monclar, Via Romana, 146 pages, 18 euros. L’intégralité ́des droits d’auteur est reversée à Missions (60 avenue du Général Leclerc, 78 230 Le Pecq, missions.assos@gmail.com) car l’auteur estime avoir le devoir de partager ce trésor qu’est la foi.