Commentaire du bréviaire romain n° 1
publié dans regards sur le monde le 24 octobre 2018
Le Bréviaire
L’Invitatoire de Matines
Psaumes 94
Nous allons chercher qu’elle est la théologie exprimée dans les psaumes et les hymnes du bréviaire romain. Nous suivrons et le temps liturgique et les jours de la semaine. Vous trouverez ces commentaires dans la rubrique « paroisse saint Michel »
Mais nous commencerons donc par l’Invitatoire de Matines, « A tout Seigneur, tout honneur ». Cette Invitatoire est composée du Psaume 94.
« Venite, exultemus Domino, jubilemus Deo, salutari nostro: praeoccupemus faciem eius in confessione et in psalmis jubilemus ei »
« Venez, exultons devant le Seigneur, réjouissons-nous devant le Dieu, notre Sauveur ; approchons nous de son visage avec des louanges – in confessione – et louons le avec nos chants »
Cette strophe est particulièrement joyeuse. Les verbes « exultare », « jubilare », « jubilemus » deux fois répétées, expriment amplement la joie. Ce sont en effet des verbes de joie. Ils expriment non pas une joie quelconque, mais une joie intense. C’est ainsi, semble-t-il, que Dieu veut être loué et chanté : par des cœurs joyeux, mieux des cœurs qui débordent de joie et d’une joie qui trouve sa source dans la foi et nullement dans des considérations purement humaines.
La joie ! C’est le sens même du verbe « exsultare » : il se traduit par : sauter, bondir, rebondir ou encore s’élancer, bouillonner, mais aussi bondir de joie, exulter. Voilà la disposition de notre cœur quand nous prenons en mains notre bréviaire pour entonner Matines. Mais cette disposition ne vaut pas seulement pour le chant de Matines, dès le matin, mais vaut pour toute la journée. La joie est la disposition fondamentale du chrétien et à plus forte raison du prêtre et du moine. « Un saint triste est une triste saint ».
« Jubilare » a également le même sens. Donc c’est une redondance : exultare. jubiltare. Le psalmiste insiste sur cette disposition du cœur pour celui qui entreprend de louer Dieu. Jubilare a donné en français « jubilation » qui signifie une grande joie.
C’est ainsi qu’il faut prier Dieu : avec un cœur joyeux, débordant de joie.
« Jubilemus Deo, salutari nostro »…
« Salutari nostro » : Voilà la première raison de notre joie. Ce Dieu que nous louons est notre « Sauveur ». Il est le principe de notre gloire future. C’est la pensée de saint Paul. Sans cesse, il confesse notre Seigneur comme étant la « raison de notre gloire », « de votre béatitude » (cf. : Col 1 25-27).
C’est pourquoi sachons le louer avec joie dans nos psaumes : « et in psalmis jubilemus ei ».
« Quoniam Deus magnus Dominus, et Rex magnus super omnes deos ; quoniam non reppellet Dominus plebem suam ; Quia in manu eius sunt omnes fines terrae et altitudines montium ipse conspecit ».
Voilà exprimée la deuxième raison de notre louange, de notre adoration, une raison « ontologique » « métaphysique ». Saint Thomas, dans son traité sur la religion, invoque, pour justifier cette vertu, la toute-puissance de Dieu, sa grandeur, sa majesté.
La religion, dit-il, « nous incline à rendre à Dieu l’honneur qui lui est dû », « ad religionem pertin(et) reddere honorem debitum Deo », « pour cette unique raison qu’il est le principe premier de la création et du gouvernement des choses », Et saint Thomas s’inspirant de Malachie, dira que la raison de l’honneur que l’on doit à Dieu c’est finalement sa paternité. : « Si je suis Père, rendez-moi honneur ! » Père, c’est-à-dire celui qui donne la vie et assume le gouvernement. A lui tout honneur, toute religion pour cette raison qu’il est « Père » : « Ad religionem autem pertinet exhibere reverentiam uni Deo secundum unam rationem, inquantum scilicet est primum principium creationis et gubernationis rerum : unde ipse dicit Malach 1 6 : Si ergo Pater, ubi honor meus ? Patris enim est et producere et gubernare ». Ainsi l’honneur que l’on doit à Dieu est en raison de son excellence. Et c’est notre sujétion vis-à-vis de Dieu qui va fonder, qui va justifier la raison du service que nous devons à Dieu, notre obligation d’honorer Dieu. Il y a bien deux aspects dans cette vertu de religion : l’un tiré du côté de Dieu : son excellence, l’autre du côté de l’homme, notre petitesse, notre sujétion en tant que créature.
Et comme cette excellence divine est unique en raison de sa transcendance infinie qui l’élève au-dessus de toutes choses, à Dieu est dû un culte spécial qu’on appelle le « culte de latrie ».
Cette grandeur divine, son excellence, se manifestent ô combien ! dans la création et par la création qui est son œuvre, une œuvre divine. C’est ce que le psalmiste exprime ici d’une manière très claire et louangeuse.
« Exaltemus Domino » : « quoniam Deus magnus Dominus », « car c’est un grand Dieu que ce Seigneur ». La grandeur de Dieu s’exprime dans cette Seigneurie, dans cette domination du Seigneur sur toutes choses créées. Elle est la raison de mon acclamation, de mon adoration, de mon culte. Le prêtre qui commence, chaque matin, le chant de Matines doit porter son regard de foi, sur le Seigneur, comme Sauveur, nous l’avons dit, mais aussi comme Créateur.
Et c’est ainsi que nous imitons les Anges dans la cour céleste : cf Apocalypse de saint Jean, chapitre 5.
Il est le créateur du monde. Il en est le « Seigneur ». Il est « Père », il est le principe de la génération et du gouvernement.
Il n’est pas seulement « Seigneur », il est « Rex magnus» : « Rex magnus super omnes deos », « Roi très grand sur toutes les puissances célestes et terrestres ».
En effet en ses mains sont toutes les contrées de la terre et il domine toutes les auteurs des monts. « Conspicere » : c’est regarder, observer. Ainsi traduire « conspicere » par « dominer » serait parfaitement dans le contexte de ce psaume premier de Matines.
« Quoniam ipsius est mare et ipse fecit illud, et aridam fundaverunt manus eius :Venite, adoremus et procidamus ante Deum ; ploremus coram Domino, qui fecit nos, quia ipse est Dominus Deux noster ; nos autem populus eius et oves pascuae eius ».
C’est là une deuxième strophe qui explicite l’œuvre de la création.
« A lui, la mer, car c’est lui qui l’a faite ». A lui la « terre », il l’a faite de ses mains. « Arida », ce mot nous renvoit au récit de la création dans la Genèse quand Dieu sépara les eaux. C’est le même mot qui est utilisé dans la Genèse : « Dixit vero Deus congregentur aquae quae sub caelo sunt in locum unum et appareat arida, factumque est ita et vocavit Deux arida terram, congregationes que aquarum appelavit maria et vidit Deus quod esset bonum. » Gen 1 9
Pour ces deux raisons, le salut de Dieu et sa création, le psalmiste nous appelle à l’adoration : « venite, adoremus et procedamus ante Deum ». C’est justice. C’est rendre à Dieu son dû. Et il veut que cette adoration ne soit pas seulement un acte intérieur, mais également un acte extérieur. Il veut que nous fléchissions le genou devant Dieu. « Procidere » : tomber en avant, tomber, mais aussi se prosterner. C’est pourquoi la liturgie veut qu’à cet instant le prêtre fléchisse les genoux. Cette situation extérieure nourrira notre dévotion intérieure, selon la belle explication de saint Thomas : l’homme est âme et corps. Le cardinal Ratzinger, dans son livre : « l’esprit de la liturgie » a un long chapitre très bien construit, très scripturaire, sur cette disposition fondamentale de toute créature devant son Seigneur. Il demande expressément de retrouver dans la liturgie cette disposition du corps. L’Ecriture, la liturgie bien comprise nous y invite…
« Ploremus coram Domino, qui fecit nos quia ipse est Dominus Deus noster ; nos autem, populus eius et oves pascuae eius »
« Plorare » : veut dire pleurer en criant, sangloter, se lamenter. C’est un verbe très fort, très expressif.
Comment interpréter ces pleurs que nous demande le psalmiste ?
Je ne pense pas que ce soient des larmes de tristesse.
Bien au contraire !
Ce sont des larmes de joie. Je pense pouvoir dire cela étant donné la raison de ces larmes : « qui fecit nos »…il nous a fait, Il est notre Dieu et Notre Seigneur, nous sommes son peuple et les brebis de son pâturage, ses brebis : « quia ipse est Dominus Deus noster, nos autem populus eius et oves pascuae eius »
Pour le psalmiste, il convient d’adorer Dieu en raison de son « pastorat » sur sa création. C’est la troisième raison de notre adoration. Que peut-il y avoir de plus réjouissant que de savoir que notre Dieu est comme « le Bon Berger », est le « Bon Pasteur ». Nos larmes ne peuvent être que des larmes de joie. (Cf le texte de saint Jean)
« Hodie, si vocem eius audieritis, nolite obdurare corda vestra, sicut in exacerbatione secundum diem tentationis in deserto : ubi tentaverunt me patres vestri, probaverunt et viderunt opera mea »
« Aujourd’hui si vous entendez sa voix, (la voix de Dieu) « n’endurcissez pas votre cœur » « nolite obdurare corda vestra » : obdurare, être fermé, ne soyez pas fermés à la parole de Dieu, comme jadis vos pères dans le désert se sont révoltés sans cesse contre moi, alors qu’ils avaient éprouvé et vu mes œuvres, « opera mea ». C’est toute l’Histoire Sainte qui peut être ici évoquée, la traversée de la Mer Morte, l’extermination de l’armée du Pharaon…ce sont là les œuvres de la toute-puissance de Dieu. Il a montré, comme le dit l’Ecriture, « la puissance de son bras ».
Et dans cette « fermeture » de leur cœur, ils mirent Dieu à l’épreuve : « ubi tentaverunt me patres vestri et probaverunt et viderunt opera mea » : ils me mirent à l’épreuve, i.e. ils ne crurent pas tout en voyant, pourtant, mes œuvres.
Quadriginta annis proximus fui generationi huic et dixi semper hi errant cordis ; ipsi vero non cognoverunt vias meas. Si introibunt in requiem meam »
« Pendant quarante ans, je fus très proche de cette génération et j’ai dit qu’il est un peuple au cœur égaré (qu’ils errent de cœur) Ils n’ont pas compris mes voies Aussi n’entreront ils pas dans mon repos ».
« Et son cœur est loin de moi » Il en fut ainsi du peuple juif dans sa traversée du désert. Il en fut ainsi du temps de Jésus.
NSJC n’a-t-il pas traité ce peuple d’hypocrites.
« Hypocrites ! C’est bien de vous que Moïse a prophétisé lorsqu’il a dit : ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. Vain est le culte qu’ils me rendent parce qu’ils n’enseignent que des doctrines et des maximes humaines. Oui, vous abandonnez les commandements de Dieu et vous vous attachez à la tradition des hommes, à l’ablution des vases et des coupes et beaucoup d’autres pratiques du même genre ». (Cf Mt 15 1-20 ;Mc 7 1-23 ; Jn 7 1)