Les Juifs et l’Alliance
publié dans la doctrine catholique le 2 décembre 2018
Au cœur des erreurs de l’actuel dialogue judéo-chrétien, nous trouvons cette proposition centrale : « Les Juifs vivent aujourd’hui l’Alliance divine ». A notre sens, c’est principalement par le biais de cette proposition que ce dialogue judéo-chrétien, que ce « nouveau regard » de l’Église sur le judaïsme est parti dans la mauvaise direction.
La clé du nouveau dialogue judéo-chrétien
Les autres propositions, en effet, découlent logiquement de cette première : si l’Alliance avec les Juifs est toujours en cours, il est logique que cette Alliance leur soit salvatrice ; il est logique que la lecture de la Bible propre aux Juifs soit reconnue comme légitime ; il est logique que l’attente du Messie par les Juifs soit reconnue comme normale, etc.
Or, cette première proposition : « L’Alliance divine avec les Juifs est toujours en cours » est essentiellement fausse, par son équivoque profonde et voulue. Une simple anecdote le fera comprendre sans peine, avant tout autre développement théologique.
Durant la guerre de 1870, le gouvernement de la Défense nationale s’était replié à Tours et utilisait le palais épiscopal. Un jour eut lieu un repas où figuraient l’archevêque, Mgr Guibert, et l’avocat juif, devenu Ministre de la Justice, Adolphe Crémieux. Se désignant lui-même avant de désigner l’archevêque, Crémieux s’exclama avec esprit : « Voici l’ancien et le nouveau Testaments. La question est de savoir lequel est le bon ». Avec encore plus d’esprit et d’à-propos, Mgr Guibert lui répliqua: «Monsieur le Ministre, vous êtes avocat. Vous savez donc que, lorsqu’existent deux testaments, seul le dernier est valable».
La nouvelle et éternelle Alliance
Sous la forme d’un trait d’esprit, la question est admirablement résumée. Si Notre-Seigneur, « la nuit où il fut livré », instaura la « nouvelle et éternelle Alliance », « le nouveau et éternel Testament », cela rendait caduque, sans retour et sans rémission, l’ancienne Alliance, l’ancien Testament.
Le Rédempteur l’avait annoncé, rappelant qu’on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres, et que si les Juifs adoraient légitimement à Jérusalem (« Le salut vient des Juifs »), le temps était proche où il faudrait adorer « en esprit et en vérité ».
Le voile du Temple qui, au moment du sacrifice suprême du Calvaire, se déchira solennellement, manifesta de la façon la plus claire, au cœur du symbole même du culte mosaïque, que ce culte, cette première Alliance, ce premier Testament préparatoire, cessaient d’exister.
L’ancien Testament venait d’être aboli, non pour être effacé, oublié, rejeté, puisqu’il était d’institution divine et surnaturelle, mais pour être absorbé, éclairé, assumé par le nouveau Testament, celui établi par le Rédempteur promis à Adam et Ève, par le Prophète annoncé par Moïse, par le Messie décrit par les prophètes : Jésus-Christ. Aboli dans sa lettre, l’ancien Testament vivra désormais pleinement par son esprit au cœur de la nouvelle Alliance.
L’esprit et la lettre
Comme l’enseignèrent les Apôtres, notamment au concile de Jérusalem, de l’ancien Testament était conservé en acte tout ce qui avait valeur pérenne, comme partie toujours actuelle de la Révélation divine : par exemple, les dix commandements du Sinaï.
En revanche, n’étaient conservés qu’en souvenirs, en symboles, les actes extérieurs destinés exclusivement à préparer les âmes à la venue du Sauveur promis : la circoncision, les sacrifices d’animaux, l’agneau pascal, etc.
Ces rites ne pouvaient plus être pratiqués de façon légitime (après un court entre-deux que saint Augustin a admirablement expliqué), puisque sinon, ils auraient signifié le contraire du vrai : que le Sauveur était encore à venir, alors qu’il est déjà venu.
L’équivoque du «judaïsme»
Comment les tenants de l’actuel dialogue judéo-chrétien sont-ils arrivés à une erreur si flagrante? A cause d’un présupposé erroné, massif dans tout le discours judéo-chrétien, et qui soustend l’équivoque majeure sur l’Alliance : l’affirmation que le judaïsme moderne, le judaïsme d’après Jésus-Christ, est « le judaïsme » tout court.
Erreur grossière, dont une seule conséquence suffit à montrer la fausseté : dans cette hypothèse, il faudrait affirmer que Notre-Seigneur, la bienheureuse Vierge Marie, les Apôtres n’étaient ni juifs, ni représentants de la vérité authentique de la Révélation mosaïque.
Le judaïsme de l’ancien Testament était l’authentique religion divine, la véritable Révélation surnaturelle, préparatoire à la venue du Messie. Lorsque vint, à la plénitude des temps, ce Messie envoyé de Dieu, il remplaça (en l’assumant) cette première Alliance provisoire par la nouvelle et éternelle Alliance, s’adressant désormais, non plus simplement à un peuple charnel particulier, mais à tous les hommes de bonne volonté.
Les enfants du peuple choisi, les Israélites, avaient évidemment toute leur place, et une place éminente, en ce nouveau et universel Peuple de Dieu, en cette Église catholique.
Et cette place, ils l’ont prise, par Notre-Seigneur lui-même, par sa sainte Mère, par les Apôtres, par les disciples et par tous les fils d’Israël qui, au cours des siècles, ont reconnu en Jésus le Messie promis par les Écritures.
Mise en place du nouveau judaïsme post-christique
Mais une partie de ce peuple, sous l’influence de mauvais chefs (comme, sous l’influence de mauvais rois, il s’était éloigné de Dieu au point de connaître la déportation à Babylone), ne voulut pas reconnaître son Sauveur : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu n’as pas voulu ! » (Mt 24, 37).
Ces chefs mirent en œuvre les mauvaises tendances que l’on voyait déjà poindre dans le courant pharisien (courant, au demeurant, d’une réelle élévation spirituelle au départ) et que Jésus avait dénoncées : ils créèrent ce nouveau judaïsme, le judaïsme du refus, le judaïsme dont le symbole majeur est le Talmud.
Ce nouveau judaïsme, ce judaïsme moderne, à la différence de l’ancien judaïsme, du judaïsme traditionnel (qu’ont pratiqué Jésus et les Apôtres), n’est pas la véritable religion, mais en est une corruption, qui détourne ses adeptes de la Révélation divine authentique, puisque sa base est précisément le refus du plan salvifique de Dieu, annoncé par l’ancien Testament, réalisé par le nouveau Testament.
L’équivoque de l’Alliance
Revenons à notre proposition essentiellement équivoque : « Les Juifs ont une Alliance avec Dieu », pour poser les distinctions requises, qui éclairent tout le débat.
Les Juifs du judaïsme ancien, Abraham, Moïse, David, Esdras, Judas Macchabée, Jean-Baptiste, etc., avaient une Alliance avec Dieu : proposition absolument vraie, qui appartient à la substance de la foi catholique.
Les Juifs du judaïsme moderne, le judaïsme du refus du Messie qu’est incontestablement Jésus-Christ, comme l’annoncent les Écritures, ont une Alliance avec Dieu : proposition absolument fausse, et même contraire à la foi catholique. « Celui qui croira et sera baptisé, celui-là sera sauvé. Celui qui ne croira pas sera condamné » (Mc 16, 16).
Les dons de Dieu sont sans repentance
On dira : « Les dons de Dieu sont sans repentance, dit l’Écriture. Or, Dieu ayant conclu une Alliance avec le peuple juif, cette Alliance perdure malgré l’infidélité de ce peuple rebelle ».
Cette objection est vraie et valide : oui, l’Alliance de Dieu avec le peuple juif perdure. Mais (et c’est la distinction fondamentale) elle perdure dans son état actuel, c’est-à-dire sous la forme de la nouvelle et éternelle Alliance en Jésus-Christ que Dieu a établie comme suite et remplacement de la première Alliance provisoire.
Tout Juif est donc appelé à cette Alliance, à ce salut, et d’une façon toute particulière, en quelque sorte différente de la façon dont est appelé un Gentil, puisqu’il est appelé non seulement en tant qu’individu, mais encore dans sa qualité nationale, étant donné que c’est à sa nation que la première partie de la Révélation fut adressée spécifiquement.
Jésus-Christ Sauveur de tous les hommes
A cette équivoque majeure et à cette erreur centrale du dialogue judéo-chrétien : « Les Juifs ont avec Dieu une Alliance légitime, salvifique, parallèle à la nouvelle Alliance, etc. », il faut ainsi répondre par la théologie catholique, constamment enseignée par le Magistère et issue directement de l’Écriture.
En vérité, Jésus-Christ est le Sauveur unique et obligatoire pour tous, Juifs comme Gentils, au sein de l’Alliance nouvelle et éternelle. « Il n’y a de salut en aucun autre. Car aucun autre Nom sous le ciel que celui de Jésus n’a été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés » (Ac 4, 12).
Cette obligation absolue, divine, sans échappatoire, de passer par Jésus, touche autant les Juifs que les Gentils, ou plutôt, devrions-nous dire, touche davantage les Juifs que les Gentils, car c’est aux Juifs qu’historiquement « appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et aussi les patriarches, et de qui le Christ est issu selon la chair, lequel est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement ! » (Rm 9, 4-5).
La première Alliance n’est plus bonne que dans l’Alliance éternelle
Ainsi, la première Alliance subsiste, en quelque sorte, puisque les chrétiens, par exemple, lisent et utilisent abondamment toutes les Écritures révélées avant le Christ, de la Genèse jusqu’aux deux livres des Macchabées. Elle subsiste en tant qu’elle est intégrée et reprise dans la nouvelle et éternelle Alliance, qu’elle annonçait, qu’elle préparait et qui, en retour, lui donne tout son sens.
Mais prétendre conserver une Alliance d’amour avec Dieu, alors que l’on refuse d’accueillir ce que Dieu nous révèle, et qui était le but même et le fondement de cette Alliance d’amour, constitue une contradiction insurmontable.
Il est rigoureusement impossible que l’Alliance préparatoire, bonne en tant même que préparatoire, puisse durablement subsister comme véritable Alliance quand Dieu lui-même a conclu par Jésus-Christ une Alliance définitive, qui elle ne passera jamais (tandis que la première, précisément, était dans sa matérialité vouée à disparaître au profit de l’Alliance éternelle). Notre Seigneur Jésus-Christ l’a dit à ses contemporains, et il le redit chaque jour aux Juifs modernes : « Scrutez les Écritures, elles parlent de moi » (Jn 5, 39). Et il insiste : « Abraham, votre père, a désiré avec ardeur voir mon jour ; il l’a vu et il s’est réjoui ». Effectivement, toutes les Écritures ont pour objet explicite ou implicite le Rédempteur des hommes, Jésus-Christ, qu’elles annoncent, décrivent, anticipent, font connaître.
Il est possible que tel ou tel Juif moderne soit dans l’aveuglement. Saint Paul parle, en effet, de ce voile qui empêche ses frères selon le sang de reconnaître Jésus comme le Messie promis par Dieu. Le statut spirituel individuel des personnes juives reste le secret de Dieu.
Mais on ne peut pas dire, sans contredire la Révélation, que la première Alliance, en tant que telle, soit encore salvifique pour les Juifs, en dehors et contre la nouvelle et éternelle Alliance.