L’affaire des « conférences de Carême » à Paris
publié dans flash infos le 28 mars 2010
L’affaire des « conférences de Carême » à Paris
par Luc Perrin, professeur à la faculté de théologie catholique de Strasbourg
Source : AGORAMAG
L’affaire du conflit né autour de la présence d’un intervenant rabbin dans le cadre des « conférences de Carême » de Notre-Dame de Paris mérite une réflexion.
Dès 2005, l’archevêque de Paris a choisi de modifier le sens de ces conférences et l’appel à un rabbin, mais pourquoi pas en 2011 à des athées militants ou des représentants raéliens, est inscrit dans la définition de ces nouvelles « conférences de Carême ». Voici comment elles sont définies en 2006 selon le communiqué officiel :
« Depuis 1835, les conférences de Carême à Notre-Dame de Paris constituent un grand rendez- vous de réflexion sur l’actualité de la foi chrétienne (le Carême est un temps liturgique où les catholiques sont invités à renouveler leur foi).
Pour la deuxième année consécutive, ces conférences prennent une nouvelle forme. Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, en a confié la réalisation à des personnalités représentatives du monde de la médecine, des sciences humaines, de la littérature, de la philosophie et de la théologie qui s’exprimeront, dans le respect mutuel, sur la condition humaine à partir de leurs convictions, chrétiennes ou non, et de leur recherche de la vérité. »
Les catholiques choqués l’ont été en raison du passé 1835-2004 : ce qui correspond à la définition traditionnelle rappelée dans le 1er paragraphe qui fait référence explicite a) à la foi chrétienne b) au Carême « temps liturgique » c) aux « catholiques ».
Rien de tel dans les conférences instituées par Mgr Vingt-Trois : là est toute l’ambiguïté. Il eût été, à mon avis, plus juste d’en changer le nom pour lever cette confusion entre une institution ancienne et une autre, les nouvelles conférences par exemple.
La réflexion de Mgr Beau, évêque auxiliaire de Paris, parue dans La Croix du 23 mars 2010, est révélatrice. Il veut rattacher la conception ancienne – de manière forcée à mon avis et qui contredit la rupture affichée par le communiqué officiel ci-dessus – et ce qui se passe « depuis cinq ans » : les conférences V.O.M. et les conférences N.O.M. en quelque sorte dont on postule la parfaite généalogie, alors que la dissonance est éclatante pour tous.
D’un côté Mgr Beau affirme « la ligne de l’Évangile ne change pas ! » : puisse-t-il être entendu. Mais de l’autre … il esquive tout ce qui a proprement trait audit Évangile pour prendre comme objet, non plus la prédication de la Bonne Nouvelle – tâche impérieuse qui échoit en premier à l’évêque ainsi que la Tradition, le concile de Trente et Vatican II l’ont fortement souligné – mais comme il l’écrit pour ces nouvelles conférences : « des questions posées par l’évolution de la société » et un peu plus loin « à l’ouverture et à l’amitié ». Très logiquement, Mgr Beau conclut son propos par une annonce concernant le Collège des Bernardins l’an prochain. Clairement, les « nouvelles conférences » font de la cathédrale Notre-Dame une annexe du Collège des Bernardins.
Question : pourquoi ne pas leur avoir donné ce cadre ?
C’est donc une fausse querelle que l’on fait à l’archevêque de Paris à propos dela présence du rabbin Krygier : les « nouvelles conférences » n’ont de Carême que le nom, par habitude, et ne se proposent pas de nourrir la foi des catholiques. Dès lors qu’un rabbin s’y exprime, un imam ou le grand-maître du Grand Orient de France prend un sens bien différent. Au fond il s’agit d’une forme sécularisée de « catholicisme » mais dès le changement de formule il y a cinq ans.
Tout le vrai problème est là : le conflit entre un catholicisme en référence à la Tradition – les anciennes conférences de Carême – centré sur la foi, l’explicitation de la foi, le temps liturgique du Carême et un catholicisme sécularisé qui, même pour parler d’un concile oecuménique, met la foi parmi les multiples opinions présentes dans le « supermarché » des croyances, comme disent les sociologues, et privilégie le vivre ensemble des croyants de toute nature et des non-croyants. Ce catholicisme sécularisé qui gomme la spécificité chrétienne, fait d’une cathédrale une salle de réunion laïque, est-il véritablement « la ligne de l’Évangile » ? Est-ce véritablement le « chemin tracé depuis Vatican II » comme l’écrit Mgr Beau ?
On peut en douter si, comme Paul VI le martèle dans Evangelii nuntiandi – en référence explicite à ce qui est le coeur de Vatican II selon ce pape -, il n’y a pas d’Église sans l’annonce explicite de la Bonne Nouvelle, qui va très au-delà des questions de société, de « l’ouverture » et même de « l’amitié » :
« L’évangélisation contiendra aussi toujours — base, centre et sommet à la fois de son dynamisme — une claire proclamation que, en Jésus-Christ, le Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité, le salut est offert à tout homme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu.[57] Et non pas un salut immanent, à la mesure des besoins matériels ou même spirituels s’épuisant dans le cadre de l’existence temporelle et s’identifiant totalement avec les désirs, les espoirs, les affaires et les combats temporels, mais un salut qui déborde toutes ces limites pour s’accomplir dans une communion avec le seul Absolu, celui de Dieu : salut transcendant, eschatologique, qui a certes son commencement en cette vie, mais qui s’accomplit dans l’éternité. »
(exhortation apostolique post-synodale Evangelii nuntiandi, 1975, n° 27).
Tout le texte est à lire et relire : Jean-Paul II en avait fait la boussole de son pontificat, comme lecture authentique de Vatican II. Il serait judicieux qu’on retrouve dans l’Église, même celle qui est en France, ce sens authentique ; le Carême paraissant approprié comme période, même si c’est toute l’année et dans toute la vie que cette demande nous est faite, à nous les baptisé(e)s.