Lu dans Présent du 8 août 2009 : Le roi, le sondage interdit… et la stupéfaction fottorinesque
publié dans flash infos le 8 août 2009
Directeur du Monde, Eric Fottorino est bouleversé : le gouvernement marocain a interdit la publication du sondage faisant apparaître pourtant que 91 % des Marocains sont satisfaits des dix années de règne de leur souverain Mohammed VI. Juriste pour l’occasion, le directeur Fottorino proteste que cet interdit est une « illégalité ».
L’affaire est gravissime puisque, au jugement de Fottorino, un tel interdit est la décision la plus contestable, la plus arbitraire, la plus incompréhensible et la plus absurde que l’on puisse imaginer. Le directeur du Monde connaît le poids des mots. L’interdit marocain risque donc de paraître plus arbitraire que les camps soviétiques ou nazis, ou que le génocide vendéen.
Si le directeur du Monde s’en étrangle à ce point, et en tête de sa « une », c’est aussi (peut-être) parce que Le Monde n’avait pas manqué de « s’associer à cette entreprise ». Et un numéro du Monde a lui aussi été interdit au Maroc. Ces Marocains ne respectent vraiment plus rien.
Pourtant, le gouvernement marocain a clairement motivé son interdit
: « La monarchie ne peut être mise en équation, même par la voie d’un sondage (…). Le concept de sondages sur la monarchie est inconcevable. »
Cette manière de voir est d’une parfaite logique. Point seulement d’une logique que l’on pourrait dire verbale, ou théorique. Il est d’une parfaite orthopraxie. A moins de se contredire elle-même, une monarchie ne saurait penser et agir autrement. On peut être contre le système monarchique. On ne peut pas reprocher à une monarchie d’être ce qu’elle est. Chaque monarchie a les traditions qui lui sont propres, selon l’histoire de son pays ; mais justement ce qui est commun à toute monarchie héréditaire, c’est de ne pas être élective. Un roi n’est pas un président. Une monarchie peut néanmoins se dire « démocratique » dans la mesure où les législateurs, les ministres, voire les magistrats sont désignés par l’élection. Bien sûr, l’idéologie démocratique moderne veut en outre qu’il n’y ait rien qui soit supérieur à la « volonté générale » manifestée par le suffrage universel. Et ce n’est pas sans danger pour elle-même qu’une monarchie laisse grandir une telle idéologie sur son territoire. Mais un roi, quelles que soient en fait les limites de son pouvoir, c’est par sa naissance qu’il est désigné, ce qui fait de lui le représentant, le protecteur, le chef des autres réalités sociales également fondées sur la naissance : la famille, la nation. Ces réalités-là sont, par nature, supérieures à la « volonté générale », fondement fictif des droits de l’homme sans Dieu.
Le sondage a la prétention d’être un moyen moins imparfait que l’élection pour manifester la souveraine « volonté générale ». S’en prendre à un sondage est désormais l’équivalent démocratique d’un crime de lèse-majesté. Libre à Fottorino d’adhérer à un tel système. Mais son intense stupéfaction devant un système différent, pourtant aussi anciennement connu que la monarchie héréditaire, révèle la profonde inculture politique de l’actuel directeur du Monde. S’il savait, peut-être deviendrait- il monarchiste.
JEAN MADIRAN