L’année du centenaire V: « S. Pie X, mais pas tout »
publié dans doctrine politique le 7 juin 2010
S. Pie X, mais pas tout
Accident chez nos amis de L’Homme nouveau. Ils ont, dans leur numéro du 5 juin, confié à un collaborateur extérieur le soin d’honorer saint Pie X.
L’article de ce collaborateur n’est pas une tribune libre. Il occupe deux grandes pages du journal. Survolé d’un rapide regard, on croit qu’il dit tout, et dans un bon esprit, y compris le fait que saint Pie X fut « un pasteur fort attentif aux réalités de son temps ».
Mais, en cette année du centenaire, il ne dit pas un mot de sa Lettre apostolique spécialement attentive aux réalités de la démocratie-chrétienne, de ses erreurs, de ses dangers.
La lettre Notre charge apostolique du 25 août 1910 était adressée aux évêques français. Le collaborateur de L’Homme nouveau n’ignore pas la France dans ses deux pages. Il mentionne avec exactitude la grande portée de la Séparation. Mais c’est tout. Or il n’y a pas seulement l’affaire française de la démocratie-chrétienne. Il y a aussi Jeanne d’Arc, qui méritait bien au moins deux ou trois lignes, et qui n’a pas un seul mot. En janvier 1904, à l’occasion du décret sur l’héroïcité des vertus, saint Pie X invitait solennellement la France au culte de Jeanne d’Arc. Cet appel ne fut pas sans conséquences historiques de première grandeur pour notre patrie. Mais peut-être, ce serait son excuse, le collaborateur extérieur qui signe « un moine bénédictin » n’est-il pas français ?
Il s’y ajoute qu’il y eut en 1908-1909 l’annonce puis la publication du décret de béatification. Elles furent l’occasion des discours de Pie X du 18 décembre 1908, du 19 avril 1909 aux pèlerins français, et le lendemain aux évêques français. Saint Pie X y manifestait une inoubliable espérance en notre pays, il prophétisait qu’un jour viendrait sa renaissance chrétienne. Depuis lors, plusieurs générations françaises n’ont pas perdu cœur, au milieu de tant de tragédies, parce qu’elles gardaient en mémoire les paroles de saint Pie X comme une promesse. Et cette mémoire est toujours vivante dans quelques familles et quelques écoles catholiques. Mais dans la presse ?
Signe des temps ? Un tel article dans L’Homme nouveau nous donne un premier aperçu des difficultés que nous allons sans doute rencontrer pour obtenir que soit célébré, avec sérieux et avec éclat, le centenaire de la Lettre apostolique contre la démocratie-chrétienne.
En tout cas, oui, c’est un signe du temps qui passe et des mémoires qui s’éteignent. Le même « moine bénédictin » décrit assez exactement le modernisme, mais il assure témérairement que « les mesures prises par Pie X (…) produisent en peu d’années le déclin du modernisme ». Le déclin ! Ce n’était pourtant pas l’avis de saint Pie X, qui a dit exactement le contraire. Dans Pascendi, en 1907, il disait : « Le mal est allé s’aggravant de jour en jour. » Trois ans plus tard, selon le motu proprio du 1er septembre 1910, après et malgré Pascendi, le modernisme continue à « croître de jour en jour », les modernistes n’ont pas cessé de « grouper en une association secrète de nouveaux adeptes ». Il est vrai que ce motu proprio de 1910 est passé sous silence par la quasi-totalité des historiens. Lui aussi mérite que l’on célèbre cette année son centenaire.
Non, saint Pie X n’a pas vu le « déclin » du modernisme, il a vu le contraire. Dans son allocution aux nouveaux cardinaux, le 27 mai 1914, il observe que continuent à se propager « les idées de conciliation de la foi avec l’esprit moderne », il déplore à ce sujet le « naufrage » dans l’Eglise de nombreux « navigateurs », et aussi de nombreux « pilotes », et même de nombreux « capitaines ». Faut-il traduire ces métaphores ? Elles sont assez claires. Et, contrairement à la coutume pontificale de dire « Nous » qui se prolongera jusqu’à Paul VI, il dit « je », ce qui est tout à fait insolite à l’époque. Il dit « je » pour préciser que sa parole sur le modernisme n’a été ni bien entendue ni bien interprétée, et ce « je », dans son dernier discours public, lui donne un caractère personnel et en quelque sorte testamentaire.
JEAN MADIRAN
Article extrait du n° 7108
du Samedi 5 juin 2010
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