Le conflit irrésolu
publié dans regards sur le monde le 10 décembre 2012
Le conflit irrésolu
SOURCE – Bernard Dumont – Catholica – 18 nov 2012
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Vatican II avait une visée pratique (dite « pastorale ») : trouver les moyens de faire cesser l’interminable conflit avec la modernité. Cinquante ans après, bien que ce but ne soit pas atteint, un réexamen se heurte à un blocage.
Le clivage entre l’Eglise et le monde contemporain est aujourd’hui aigu, bien loin des attentes formulées lors de l’ouverture du concile Vatican II, il y a cinquante ans. La situation d’alors était préoccupante. On entrait dans la consommation de masse, avec toutes les conséquences morales que cela annonçait et qui effectivement se mesuraient déjà. The Affluent society, de John Kenneth Galbraith, paraît en 1962, célébration de l’abondance matérielle et programme d’expansion capitaliste. The Gutemberg Galaxy, de Marshall Mac Luhan, fait apparaître qu’un saut qualitatif s’est produit dans la possession des nouveaux pouvoirs des médias. Le communisme poursuit ses activités maléfiques à travers le monde, et rivalise avec la superpuissance concurrente dans la course aux armements… Enfin à l’intérieur de l’Eglise circulent les « opinions fausses qui risquent de ruiner les fondements de la doctrine catholique » (Pie XII, Humani generis, 1950). On se rendra très vite compte que ces derniers périls n’étaient pas illusoires, et se vérifient dans tous les domaines de la vie ecclésiale, dans les doctrines comme dans les pratiques « modernisatrices » de l’Action catholique, de syndicats, partis politiques, universités considérés comme catholiques, désormais en voie de sécularisation rapide. De tout cela chacun était conscient en 1962, de même que l’on savait pertinemment que cet état de choses venait en fait d’assez loin dans le passé.Si les interventions initiales de Jean XXIII passèrent très rapidement sur ces côtés négatifs, les textes auxquels ont abouti les longs débats conciliaires présentent pour une part des traits plus réalistes. Paul VI, dans son discours de conclusion (7 décembre 1965), les a résumés par un portrait saisissant de l’homme de la modernité, clos sur lui-même et « tout entier occupé de soi, […]qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité ». En conséquence, affirmait Paul VI, « la religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu ». Quant au texte conciliaire le plus salué pour son « ouverture », Gaudium et spes, il commence par un tableau préliminaire plutôt sombre de « la condition humaine dans le monde d’aujourd’hui ». Il dénonce l’athéisme institutionnel (même sans mentionner directement le communisme) et le scientisme, émet la crainte que les nouvelles techniques militaires provoquent « une barbarie bien pire que celle d’autrefois », conclut enfin sur l’« état lamentable de l’humanité » (n. 79). La mission impartie au concile était d’offrir des réponses proportionnées aux angoisses nées de cette situation, mais aussi de discerner les aspirations positives et leur apporter une réponse dans une formulation adaptée. Telle était la raison d’être du caractère essentiellement pratique de ce concile, signifiée par l’adjectif « pastoral » qui lui a été officiellement attribué. Jean XXIII avait été très clair à ce sujet : il ne s’agissait pas de « discuter de certains chapitres fondamentaux de la doctrine de l’Eglise, et donc de répéter plus abondamment ce que les Pères et théologiens anciens et modernes ont déjà dit », mais bien d’opérer une mise à jour (c’est l’un des sens du mot aggiornamento si souvent répété), une adaptation pédagogique : « Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque » (Discours d’ouverture. La traduction littérale de la version italienne comporte une variante : « […] soit étudiée et exposée suivant la recherche et la présentation dont use la pensée moderne », formulation ambiguë, pouvant s’entendre dans le sens d’une attention portée à la capacité de compréhension des auditeurs, ou bien d’une mise en adéquation avec les formes culturelles dominantes de l’Occident. Mais une ambiguïté semblable entoure le mot « exigence » dans la version française). L’opération était d’autant plus importante que l’on se trouvait en présence d’un bouleversement général du monde face auquel il convenait de réfléchir avec d’autant plus de force que les attitudes adoptées depuis le XIXe siècle envers la modernité s’étaient soldées par des échecs successifs toujours plus patents, entre autres parce que le discours de l’Eglise n’était pas toujours arrivé à se formuler dans des termes immédiatement accessibles à ses destinataires. Pourquoi cette intention pastorale n’a-t-elle pas abouti ? Pourquoi tant d’efforts déployés n’ont-ils pas permis de trouver les moyens d’élaborer un modèle renouvelé de compréhension de la modernité, et de donner une impulsion décisive à une renaissance de la culture chrétienne apte à imposer le respect ? On se contentera ici de considérer deux points : l’option initiale qui a donné sa tonalité aux travaux conciliaires, et la difficulté de comprendre l’entêtement avec lequel la ligne posée à l’origine n’a pas été modifiée en dépit de son inefficacité.
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Le caractère propre de Vatican II ne réside pas tant dans sa « pastoralité », c’est-à-dire dans la préoccupation pratique qui lui était assignée, que dans la manière dont celle-ci s’est concrétisée et dans le contenu des décisions qui en sont résultées, aujourd’hui jugées par les faits comme un échec. Après tout, ce concile aurait pu être « pastoral » d’une tout autre manière. Et la façon dont il le fut a été tributaire d’un certain nombre de données, tout autant que le long processus qui a suivi. La première parmi ces données est une décision d’optimisme. Cette voie, généralement imputée au concile dans son ensemble, a été imposée par Jean XXIII. La bulle d’indiction Humanae salutis, l’acte juridique de convocation du concile (25 décembre 1961), évoque certes de manière assez précise les « guerres meurtrières qui, aujourd’hui, se succèdent sans interruption » – on pense à ce qui se passait alors en Algérie, au Viêt-Nam, en Angola, etc. –, mais en tire une interprétation positive qui laissera des traces par la suite : « […] cela pousse les hommes à s’interroger, à reconnaître plus facilement leurs propres limites, à aspirer à la paix, à apprécier la valeur des biens spirituels ; et cela accélère le processus […] qui conduit de plus en plus tous les individus, les classes sociales et les nations elles-mêmes à s’unir amicalement, à s’aider, à se compléter et à se perfectionner mutuellement ». Cette conviction du passage à dans un accès collectif à la sagesse a pour corollaire dans le même texte une première critique à l’endroit de ceux qui la mettraient en doute, et qui « ne voient que ténèbres enveloppant notre monde ». A peine six mois plus tard, le propos se fera plus acerbe. Jean XXIII qualifiera de « prophètes de malheur » ceux « qui ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés » ; et il situera les reproches qu’il leur adresse sur un terrain de principe, affirmant qu’« ils se conduisent comme si l’histoire, qui est maîtresse de vie, n’avait rien à leur apprendre […] », présupposant et confirmant ainsi l’idée fort peu réaliste que l’on assistait à un basculement positif vers une ère nouvelle d’apaisement (Discours d’ouverture du concile, 11 octobre 1962). On n’a jamais su exactement qui était visé par cette critique, peut-être était-elle seulement préventive, en tout cas une ligne était énoncée, d’ailleurs cohérente avec la définition des objectifs assignés à l’assemblée qui s’ouvrait, consistant non à combattre les principes qui sont à la racine des maux contemporains, et les systèmes qui en résultent (le marxisme, le libéralisme, etc.), mais à « recourir au remède de la miséricorde plutôt qu’à brandir les armes de la sévérité ». La justification de ce choix, très nouveau dans la pratique de l’Eglise qui avait toujours mêlé les deux, est donnée dans le même discours d’ouverture : les erreurs, y lit-on, s’opposant les unes aux autres « s’évanouissent comme brume au soleil », bien plus, les contemporains « semblent commencer à les condamner d’eux-mêmes ». Jean XXIII donnait même un exemple : « C’est le cas particulièrement pour ces manières de vivre au mépris de Dieu et de ses lois, en mettant une confiance exagérée dans le progrès technique, en faisant consister la prospérité uniquement dans le confort de l’existence » (ibid.). La tournure d’esprit du « bon pape Jean » lui a survécu, mais avec Paul VI, elle a revêtu une expression plus résolue que l’attente d’une « nouvelle Pentecôte » ou d’un « nouveau bond en avant du royaume du Christ dans le monde » annoncée par son utopique prédécesseur (8 décembre 1962). Reprenons le discours de Paul VI du 7 décembre 1965, souvent cité, sans doute à cause de son lyrisme : « La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu. Qu’est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un anathème ? La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du concile. Une sympathie sans bornes l’a envahi tout entier… » C’est donc en pleine conscience que le concile a été poussé dans cette direction : « […] il faut reconnaître que ce concile, dans le jugement qu’il a porté sur l’homme, s’est arrêté bien plus à [… l’] aspect heureux de l’homme qu’à son aspect malheureux. Son attitude a été nettement et volontairement optimiste ». Le reste du discours insiste sur ce choix délibéré, se traduisant par « un courant d’affection et d’admiration […] sur le monde humain moderne ». Il ne s’agit plus ici de cette bienveillance ingénue que les Italiens appellent le buonismo, mais d’un postulat, d’un regard délibérément sélectif. Ce choix, qui n’est pas celui de la lucidité mais un apriorisme rappelant ce qu’un psychologue très en vogue à l’époque, Carl Rogers, nommait la « considération positive inconditionnelle », doit lui-même être compris dans son contexte. Une première explication a l’avantage de la simplicité ; elle repose en outre sur beaucoup d’indices et aussi d’aveux explicites. Un basculement s’est opéré dès la première semaine, en octobre 1962, lorsque cinquante-neuf des soixante schémas préparatoires présentés par la curie romaine ont été rejetés. Elle est le résultat des efforts d’un petit noyau d’activistes de tendance moderniste plus ou moins affichée, habile à s’imposer en face de personnages ecclésiastiques ne comprenant pas le sens d’une action de débordement menée avec l’appui de quelques évêques, sous le regard bienveillant d’un Jean XXIII multipliant les gestes d’ouverture. C’est une donnée, assurément. Mais elle n’est pas suffisamment probante, en ce sens que Jean XXIII avait préalablement fait son choix en faveur du changement. D’autre part, si « parti » révolutionnaire il y eut, les historiens qui se sont penchés sur le sujet attestent qu’il ne prit à l’origine que la forme élémentaire d’un état d’esprit commun, porté par des réseaux distincts et en relations occasionnelles, et non d’une organisation formée d’avance et dotée d’un programme cohérent. En outre, et cela est important, une aspiration confuse à sortir d’une ambiance bureaucratique et tatillonne constituait un point d’appui moral pour ces initiatives, notamment dans les ordres religieux et les épiscopats nationaux. Ce n’est qu’au cours des sessions suivantes du concile que des liens plus étroits se tisseront, sans jamais cependant aboutir à quelque instance centralisée, en revanche en symbiose toujours plus grande avec le monde extérieur des médias, des groupes de pression et des laboratoires de pensée.L’époque était aux « révolutions coperniciennes », aux retournements d’alliances, et pas seulement parce que certains jusqu’alors tenus à l’écart avaient saisi l’occasion inespérée de prendre leur revanche sur les conservateurs qui leur faisaient obstacle. De manière plus générale et surtout plus vaste dans la durée, le rapport entre le monde catholique et le « monde moderne » qui constituait son environnement ressemblait à un combat pour la survie, l’Eglise, dans son assise sociale se trouvant dans une condition de confinement, en dépit de certaines conjonctures localement et temporairement favorables et de quelques territoires encore privilégiés. Cette situation était intenable à terme, tout le monde est d’accord sur ce point. Par le passé, une stratégie de contournement avait été tentée, sous la direction de Léon XIII : ainsi s’interprètent la politique du Ralliement (1892) et la tentative de maîtrise d’un électorat catholique conçu comme une puissante masse de manoeuvre pouvant défendre les intérêts de l’Eglise ; et de même l’action sociale systématique, encouragée à partir de l’encyclique Rerum novarum (1891), devant la place vide laissée par le libéralisme sauvage. La même stratégie sera prolongée sous Pie XI surtout, à un moindre degré sous Pie XII, qui en verra l’épuisement. Au début des années 1960, on peut admettre l’hypothèse d’une nouvelle tentative, de retournement cette fois, comparable à ce qui se produit dans le jeu de Go où il suffit de peu de choses pour que d’assiégé on devienne assiégeant. En l’occurrence, plutôt que de contrer le monde moderne et son humanisme idolâtrique, il était imaginable de se proclamer soi-même moderne et plus humaniste que l’humanisme contemporain : « Nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme » clamait Paul VI dans son discours du 7 décembre 1965. Ce que l’on peut considérer comme une première offensive de communication sera suivie de bien d’autres au cours de la période postconciliaire, mais même avec le charisme personnel de Jean-Paul II, elle n’atteindra guère son but. L’une des raisons de cet échec est d’ordre technique : dès le départ, le concile s’est laissé investir par les médias ; entrant en béotiens dans une structure étroitement liée aux finalités de la modernité, heureux de trouver une tribune facile pour la diffusion de leurs idées ou simplement pour paraître, de nombreux experts, évêques et porte-parole ont placé le concile en situation de dépendance à l’égard du « magistère » hégémonique détenu par les faiseurs d’opinion publique. Le concile est devenu l’événement conciliaire, durablement. En définitive, le retournement de situation ne s’est pas produit, en dépit du lourd tribut payé à la culture dominante dangereusement flattée.
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Comment se fait-il que malgré les démentis du réel, il soit toujours très difficile d’imaginer remettre en cause une politique dont l’inefficacité, cinquante ans après, est patente ? Il semble que l’on puisse avancer deux hypothèses, ayant en commun une même notion de contrainte. La première concerne le fait, déjà abordé, d’une insertion de l’Eglise dans la sphère médiatique, fortuite, impréparée, rapidement étouffante et jamais soumise à réexamen, alors même qu’abondent les moyens d’analyse disponibles sur ce sujet. Avant même de penser le statut de l’Eglise postconciliaire en termes de participation à l’espace public – aujourd’hui mis à l’ordre du jour sous l’angle particulier de la laïcité – celle-ci était réalisée de facto. La principale conséquence de cette nouveauté historique n’a pas été, sinon de manière secondaire, un élargissement de la présence publique de l’Eglise dans la vie sociale, compte tenu du fait que toute intervention dans le champ médiatique a pour contrepartie immédiate de la voir « traduite » en termes réducteurs, aisément déformés jusqu’à la subversion totale (les affaires de Ratisbonne, en 2006, puis le traitement du cas Williamson, en 2009, sont à cet égard dans toutes les mémoires). Tout au long de la période de l’après-concile, l’Eglise a été ainsi soumise à la censure pointilleuse des puissances qui disposent de l’instrument médiatique, assortie de menaces dès que le moindre écart, réel ou imaginaire, a pu être relevé. Cette situation d’emprisonnement est due à l’origine à une méconnaissance de la structure du pouvoir dans la société démocratique, dont le modeste Décret sur les moyens de communication sociale Inter mirifica, le texte le plus court et certainement le plus faible produit par le concile, témoigne éloquemment. Or les médias font partie intégrante du système du pouvoir de la modernité tardive et l’ignorance de ses règles et de ses finalités internes ne fait que traduire celle de l’ensemble plus vaste dont il n’est qu’un rouage particulier. Comme au sein de l’Eglise il ne manque pas d’esprits de qualité et de compétence indiscutables, il semble que pour une part au moins, le peu d’intérêt porté à ces réalités résulte, comme l’optimisme d’il y a cinquante ans, d’un acte de volonté. L’autre contrainte est liée aux logiques théoriques élaborées pendant le processus conciliaire lui-même. L’intention d’alors était de partir des aspirations de l’homme contemporain pour leur donner une sorte d’achèvement chrétien. On a vu que le modèle pris en compte était une image moyenne de l’Occidental modernisé, replié sur son égoïsme, fasciné par la technique et clamant son autosuffisance, ayant des « exigences de liberté » et une conscience accrue de sa dignité intrinsèque – on dirait aujourd’hui de ses « fiertés » – (cf. la Déclaration Dignitatis humanae en particulier). Il s’agissait d’une réduction, à la fois socialement – cette représentation étant surtout celle des cadres moteurs de la modernisation – et géographiquement, à une époque où l’occidentalisation du monde n’avait pas atteint les proportions actuelles. Et cependant c’est à partir de ce modèle – que le système des médias a largement contribué à mettre en valeur – que toute une conception anthropologique s’est constituée, sur le socle préexistant du personnalisme catholique élaboré dans les années d’avant-guerre, et dans la continuité de courants théologiques antérieurement rejetés. Et le discours idéologique qui a simultanément émergé sur « l’Eglise des pauvres » n’a pas contrebalancé cette vision, servant, de fait, dans les circonstances d’agitation révolutionnaire de l’époque, à conforter un sentimentalisme progressiste d’où sortiront quelque temps plus tard les théologies de la libération.
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Il est impossible de séparer question politique et question religieuse, transformations du discours ad extra et élaboration théorique ad intra, bien que la clé réside dans le désir premier de surmonter le conflit avec le monde de la modernité, un conflit indissociablement théologique, philosophique et politique. De même, il est difficile de récuser le fait que même les productions les plus strictement tournées vers la vie interne de l’Eglise – son autodéfinition dans Lumen gentium, les textes sur la formation des prêtres, l’épiscopat, la Révélation… – aient été pensées in situ, et à plus forte raison toutes celles qui touchent aux relations avec les autres, qu’il s’agisse d’oecuménisme, de liberté religieuse, de participation à la « construction du monde » en commun avec les incroyants, et ainsi de suite. Ce n’est qu’une conséquence naturelle de l’option pastorale initiale. Il faut ajouter le fait que la longue période postconciliaire, si elle a connu des nuances, a dogmatisé le corpus constitué entre 1962 et 1965 – alors que son caractère pastoral impliquerait logiquement de faire un point périodique sur sa pertinence, tenant compte des changements de circonstances. Il est vrai que dans certains cas cette dimension essentiellement pratique a été outrepassée pour se présenter comme progrès doctrinal, ouvrant la porte à une interminable interrogation sur la portée de certains textes, leur continuité ou leur rupture avec l’enseignement acquis. Parallèlement le regard unilatéralement positif sur le monde a laissé place à une autocélébration périodique, pendant que la censure extérieure se montre toujours plus oppressante. Ce faisant, par un étrange paradoxe, nous en revenons, cinquante ans après, à la situation de conflit sans fin à laquelle voulait échapper le concile. Il est donc difficile, dans ces conditions, d’imaginer la possibilité de faire l’économie d’un réexamen.
A propos de l’auteur – Bernard Dumont: Directeur de la revue Catholica, est également membre du comité de rédaction de la revue trimestrielle de philosophie politique Behemoth (Rome). Promoteur des traductions françaises des oeuvres du philosophe Augusto Del Noce (L’époque de la sécularisation, L’irréligion occidentale, direction d’un collectif sur Del Noce interprète du XXe siècle), il assure la direction de colloques internationaux, tels que « La culture du refus de l’ennemi. Modérantisme et religion au seuil du XXIe siècle » (Paris, 2004), et « Guerre civile et modernité » (Lausanne, 2008). Il co-dirige la collection « Philosophie politique » aux éditions Artège.