Méditation de Bartholomaios Ier, Patriarche oecuménique de Constantinople
publié dans regards sur le monde le 23 mai 2013
« La signification de la liberté authentique »
1700e anniversaire de l’Edit de Milan
Milan, 18 mai 2013 (Zenit.org)
« La signification de la liberté authentique »: c’est le thème de cette méditation du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartolomaios Ier, à l’occasion du 1700ème anniversaire de la publication de l’Édit de Milan, à Milan, le 15 mai 2013.
Discours du patriarche œcuménique
« Cognoscetis veritatem, et veritas liberabit vos » (Jean 8, 32)
C’est une bénédiction et un motif de joie, pour Notre humble personne, de nous trouver ici, à Milan, pour la célébration des mille-sept-cents ans de la publication historique de l’Édit de Milan, qui a représenté une étape fondamentale dans l’histoire de l’humanité.
L’Édit a constitué avant tout un tournant important dans la vie de son auteur, l’empereur Constantin le Grand, l’amenant à la foi chrétienne et à une vie inspirée de l’évangile. Il fait maintenant partie des saints et il est le protecteur et bienfaiteur de l’Église. Par cet Édit, Constantin a fait du christianisme une religion libre dans le grand empire romain, posant les bases du premier État chrétien.
Nous nous réjouissons donc de nous retrouver ici avec vous, dans ce lieu béni par les martyrs, sanctifié par la présence de tant de Saints de l’Église chrétienne indivise. Et en premier lieu notre père, le grand saint Ambroise, patron de l’Église de Milan, bon pasteur de cette ville bénie de Dieu, successeur des saints apôtres dans l’œuvre d’évangélisation. Nous rappelons aussi la mémoire des saints martyrs Sébastien, Nazaire, Gervais, Celse et Protase qui, par l’effusion de leur sang, ont scellé leur foi dans le Christ, foi dont Constantin le Grand rendra la pratique libre peu de temps après.
Ces cinq saints martyrs, protecteurs de la ville de Milan et intercesseurs auprès de Dieu pour ses enfants, constituent aussi pour nous un modèle et un exemple par leur consécration totale, jusqu’à la mort, au Chef de la vie, au Seigneur des vivants et des morts, le vainqueur de la mort, notre Seigneur Jésus-Christ.
Nous exprimons notre contentement parce que les saintes reliques de ces martyrs, qui nous ont été généreusement concédées par le prédécesseur de Votre Éminence et qui sont aujourd’hui conservées au siège du patriarcat œcuménique, renforcent nos liens spirituels et sacrés avec cette ville et son archidiocèse.
Nous désirons avant tout remercier notre frère bien-aimé dans le Christ, Son Éminence le cardinal Angelo Scola qui, par son aimable invitation, nous a donné la joie et la possibilité de participer à ces célébrations, organisées avec tant de dévouement dans la ville où l’Édit fut publié.
Plein de gratitude pour l’honneur qui m’est fait d’intervenir maintenant devant cette assemblée, je souhaite offrir une petite contribution à notre effort de compréhension mutuelle en exposant quelques pensées simples sur ce que signifie la liberté, selon différentes perspectives, dans notre Église orthodoxe, dans la chrétienté et dans le monde.
Milan fête les 1700 ans de la concession de la liberté religieuse et de la fin des persécutions, dures et inhumaines, lancées contre les chrétiens par les adeptes de religions païennes qui adoraient l’image de César, le soleil, la lune, les étoiles, les statues inanimées des douze dieux démoniaques…
Nous sommes venus de la ville fondée par saint Constantin pour honorer solennellement l’Année constantinienne. L’anniversaire des mille-sept-cents ans de la publication de l’Édit ou, comme on l’appelle aussi, du Dogme de Milan, représente une occasion unique pour notre époque où l’on assiste souvent à la violation des droits fondamentaux de l’homme ; il permet d’expliquer cet héritage fondamental de Constantin le Grand grâce auquel, pour la première fois, la législation romaine fut fécondée par la pensée chrétienne et qui, en outre, a marqué une conquête décisive pour l’avenir de l’humanité : le concept de liberté religieuse.
La décision de Milan a accordé au christianisme, jusqu’alors persécuté, la parité légale, lui concédant institutionnellement la liberté religieuse. Ainsi fut ouverte la voie pour fonder le premier et unique État chrétien du monde connu, source d’avantages culturels, contribuant à l’évangélisation du continent européen.
1. Liberté spirituelle – un sens déformé dans le monde moderne
En général, on considère la liberté comme un concept abstrait, en particulier dans la communauté intellectuelle, politique, académique et culturelle, sans mettre en évidence la profondeur de ce mystère.
Saint Chrysostome écrivait : « La liberté est l’absence d’arrogance et de vanité » (Commentaire de la Lettre aux Hébreux, XXVIII, P.G. 63,200), et encore : « C’est précisément cela la liberté, lorsqu’elle brille même dans l’esclavage, la liberté se donne dans l’esclavage » (Commentaire de la 1ère Lettre aux Corinthiens, XIX, P.G. 61,157).
C’est ainsi, d’ailleurs, qu’a vécu et témoigné par sa vie, pendant ces dix-sept siècles, le patriarcat œcuménique : contraint à l’esclavage selon le monde, mais libre, indomptable, insoumis dans sa pensée et son esprit. La liberté absolue que notre Seigneur Jésus nous a concédée, – don renouvelé par Constantin le Grand, lorsqu’il signa la loi sur la tolérance religieuse, avec son collègue, l’empereur Licinius, il y a dix-sept siècles, à Milan – constitue un bien spirituel éminent et un don de Dieu inconcevable. Le premier homme, Adam, fut modelé par Dieu à son image et à sa ressemblance. Dieu a donné à sa créature son don le plus précieux : être maître de lui-même c’est-à-dire de sa volonté libre et de la possibilité de choisir de lui appartenir ou de le renier.
Dieu peut tout, mais il ne désire pas contraindre l’homme à l’aimer. Et surtout, il respecte la liberté de l’homme. « Dieu est amour » (1 Jn 4,16), il est amour libre envers l’homme et il cherche l’amour libre de sa créature. Dieu, personne ne l’a jamais vu, parce que l’amour non plus ne se voit pas à l’œil nu, et ne se manifeste pas par des compliments, des invitations et des fêtes, mais il se vit dans le cœur, il se manifeste dans la vérité à travers le sacrifice et la croix de celui qui aime, au profit de la personne aimée.
A travers le Dieu-Homme, le Christ, et son œuvre de salut, Dieu a voulu convaincre et non pas forcer, appeler et non pas chasser, aimer et non pas juger, libérer et non pas rendre esclave.
Cette liberté occupe alors une place centrale dans la vie de l’homme qui désire s’approcher de Dieu. Au cours de l’exercice de son œuvre salvifique dans le monde, le Verbe de Dieu incarné affirme : « Jésus dit alors aux Juifs qui l’avaient cru : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera » (Jn 8, 31-32).
Cette liberté est un mystère profond, éternel, impénétrable. On ne peut pas la définir ou l’englober dans un concept.
A notre époque, et plus particulièrement aux XIXe et XXe siècles, on a fait beaucoup de discours sur la liberté et on a mené de nombreuses guerres pour cette soi-disant liberté des peuples.
Lorsque cette liberté est séparée du Donateur originel, le donateur de tout don, Dieu, elle est alors isolée, divinisée, elle acquiert un caractère anthropocentrique, devient toute-puissante ; c’est ainsi qu’apparaissent, phénomène qui n’est pas rare dans l’histoire de l’humanité, de grands criminels, au nom de cette liberté toute-puissante et anthropocentrique.
Il convient de distinguer la vraie liberté dont parle l’évangile, et que Constantin le Grand a apportée, des autres formes de liberté qui ne constituent pas le bien suprême donné par Dieu à l’homme, mais qui en sont une pâle imitation ou qui dérivent vers des falsifications de la véritable liberté.
Liberté trompeuse comme, par exemple, la liberté de la chair qui satisfait les désirs inférieurs de l’homme et ses exigences individuelles, et qui n’est pas capable de le conduire à Dieu, le rabaissant à un niveau d’existence inférieure, instinctive et bestiale, pour laquelle il n’a pas été modelé par Dieu.
Malheureusement, aujourd’hui, la liberté est réduite à l’un des biens les plus « maltraités » dans l’humanité, continuellement sujette à l’arbitraire et aux idéologies humaines. Les hommes, surtout ceux qui se sentent « supérieurs », croient être libres lorsqu’ils peuvent satisfaire leurs désirs sans discernement, faisant ce qu’ils veulent quand ils veulent, sans limites, en décidant et agissant, en commettant des injustices couvertes par le silence de ceux qui les entourent, en tuant et en se faisant applaudir : tout et toujours au nom de la liberté.
Aujourd’hui, au-delà de la crise économique mondiale et de toutes les autres crises, nous vivons aussi une crise de la liberté.
Tout le monde se plaint sur notre terre, tout le monde proteste, désire et recherche la vérité ; parfois même certains versent leur sang pour cette cause, mais peu nombreux sont ceux qui la trouvent et qui l’acquièrent : peu nombreux sont ceux qui connaissent le contenu de la vraie liberté et où elle se trouve.
2. Le concept de la vraie liberté
Mais la possibilité de l’homme de faire ce qu’il veut non seulement n’est pas la vérité, mais constitue au contraire la pire des formes d’esclavage. Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, dans le saint Évangile, montre la signification de la vraie liberté. Lorsque les juifs demande au Seigneur de quelle liberté il parle, étant donné que « nous sommes la descendance d’Abraham et jamais nous n’avons été esclaves de personne. Comment peux-tu dire : Vous deviendrez libres ? », il donne une réponse très particulière : « En vérité, en vérité, je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave. Or l’esclave ne demeure pas à jamais dans la maison, le fils y demeure à jamais. Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres » (Jn 8, 34-36).
Le péché est la pire forme d’esclavage de l’homme : en s’en libérant, il a les bases pour acquérir la vraie liberté. Nul n’est libre, s’il ne renie l’auto-adoration de son « ego », s’il ne dépasse son « moi » pécheur, s’il ne vainc ses désirs et ses passions pécheresses.
La liberté du péché est l’unique réelle liberté. C’est ce que souligne le protocoryphée, l’apôtre Paul, dans sa Lettre aux Romains (6, 23-23) : « Mais aujourd’hui, libérés du péché et asservis à Dieu, vous fructifiez pour la sainteté, et l’aboutissement, c’est la vie éternelle. Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur ».
L’homme est libre lorsqu’il atteint la sanctification et la purification totale de son existence. Il est libre justement selon le degré de sa libération des chaines du péché qui engendre la mort. Il est libre quand il se renie lui-même au profit de l’autre, quand il sacrifie son existence, ses attentes, ses « intérêts » au profit de son frère, de son ami, de son prochain et de Dieu.
Le concept et la vérité de la liberté furent révélés dans le monde avec le Christ, comme la rencontre du Dieu personnel avec l’homme personnel.
L’homme ne peut être un homme authentique s’il n’est pas en communion avec Dieu. Au contraire, il nie son humanité lorsqu’il se constitue comme un absolu, lorsqu’il refuse de se soumettre à la volonté divine, lorsqu’il renie la loi de Dieu (les dix commandements d’avant la grâce et, principalement, l’Évangile du Christ), lorsqu’il est lui-même le critère exclusif pour décider ce qui est bien ou mal.
3. L’exemple et la parole d’un saint dans l’Église orthodoxe
Presque 1900 ans après l’incarnation du Christ dans le monde, un ascète du saint Mont Athos, saint Silouane, donne la mesure et la définition de la vraie liberté : « La vraie liberté consiste à demeurer continuellement en Dieu » (Archim. Sophronius, Silouane de l’Athos, l’Ancien (1866-1938), Thessalonique).
Plus nous nous éloignons de Dieu, plus nous devenons esclaves de nos passions, de nos idées, de nos désirs, de nos possessions, de l’argent : et ainsi nous retombons dans l’idolâtrie, dans un néo-paganisme, « à l’image de tout Nabuchodonosor ». Et ceci, malgré le progrès, les vols dans l’espace, les « miracles » de la science et de la technologie et les « incroyables » conquêtes.
Constantin le Grand a lui aussi atteint cette liberté et c’est elle qui l’a libéré du culte de l’idole de soi, de l’idole de l’empereur que l’on adorait encore comme un dieu, parce qu’il s’est soumis au contraire humblement à la volonté de Jésus doux et humble, de qui il est devenu le serviteur et le disciple. Et tous les saints, les martyrs, les bienheureux et les justes de notre Église, comme Ambroise de Milan, ont eux aussi possédé cette véritable liberté, avec toute la longue chaine des saints jusqu’à aujourd’hui.
Le hiéromoine Sophronius raconte le contenu d’une conversation de l’ascète athonite saint Silouane avec un étudiant en visite au Mont Athos, qui lui parla longtemps de la liberté. Silouane, vénéré aujourd’hui comme un saint, lui répondit ceci : « Qui ne cherche pas la liberté ? Tout le monde la veut, mais tu dois savoir où elle est et comment tu peux la trouver. Pour devenir libre, tu dois te lier toi-même. Plus tu te lies toi-même, plus ton esprit acquerra la liberté. Tu dois enchainer tes passions à l’intérieur de toi pour ne pas les laisser te dominer ; tu dois t’enchainer toi-même pour ne pas faire de mal à ton prochain.
« En général, les hommes cherchent la liberté pour faire « ce qu’ils veulent ». Ceci n’est pas la liberté, mais la non-liberté, la domination du péché sur nous. Nous, nous croyons que la véritable liberté consiste à ne pas pêcher, à aimer le Seigneur et ton prochain de tout ton cœur et de toute ta force » (Archim. Sophronius, id.).
4. L’acquisition de la vraie liberté par le repentir et en demeurant en Dieu
Le modèle de la parfaite liberté est la « kénose » de Dieu qui « se vide de lui-même », qui nous donne tout et se donne lui-même. Voilà la liberté parfaite : « Prenez et mangez, ceci est mon corps rompu pour vous en rémission des péchés ». Il est en même temps « celui qui s’offre et la victime qui est offerte, celui qui se donne et le sang qui est donné » librement et totalement, le Christ, notre Dieu.
Le Seigneur ne veut pas la mort du pêcheur mais il donne à celui qui se repent la grâce de l’Esprit Saint. Il donne à l’âme la paix et la liberté de demeurer en Dieu par l’esprit ou par le cœur. Quand l’Esprit Saint nous pardonne nos péchés, l’âme reçoit la liberté de prier en Dieu et elle trouve le repos et la joie en lui. Voilà la vraie liberté. Sans la liberté de Dieu, il est impossible d’exister : les ennemis secouent l’âme avec des pensées malveillantes.
5. La vraie liberté réside dans l’amour
Comment réaliser ces paroles, comment acquérir la vraie liberté dans un monde athée, pluraliste, où dominent tendances nationalistes, violence, idéologie, intérêts, fragmentations sociales, inconstance de la classe dirigeante qui change d’opinion et d’avis contre toute cohérence et sagesse ? La vraie liberté consiste à demeurer en Dieu. Comment demeurer en Dieu pour rester vraiment libres si nous ne sommes pas cohérents dans nos actes ? Dans la langue grecque, le mot « cohérence » signifie la valeur que j’ai et que je possède, que je ne perds pas régulièrement en faisant marche arrière.
Nous trouvons une réponse dans la voix inspirée par Dieu de Jean, le théologien et évangéliste : « Dieu est Amour : celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4, 16-17). La liberté se trouve alors dans l’amour, dans notre soumission, dans notre service pour les autres. L’apôtre des Gentils, Paul, nous indique l’ethos de la liberté, dans la kénose totale de l’homme qui se vide de lui-même au profit de ses frères : « Oui, libre à l’égard de tous, je me suis fait l’esclave de tous, afin de gagner le plus grand nombre. (…) Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver à tout prix quelques-uns » (1 Cor 9, 19 ; 22).
La croix de la liberté est la croix de l’amour. La seule liberté sans limite est l’amour sans limite. Les saints en témoignent de manière empirique. Nous sommes libres lorsque nous aimons. Sans l’amour, la liberté sans limite devient violence sans limite, oppression, dissolution, comme cela arrive malheureusement dans tant de situations – et même dans l’Église – lorsqu’entrent l’esprit du monde, l’immoralité, le vol, lorsque des puissants couvrent et tolèrent des situations totalitaires. Mais Dieu voit tout et il intervient au moment opportun par un jugement véritable, comme « un juge juste ».
L’exigence de la vraie liberté mène à l’amour total, à l’amour crucifié et sacrifié. La liberté sans la croix ne peut donc pas exister. « Je prendrai une route qui monte, j’emprunterai des sentiers pour trouver les escaliers qui mènent à la liberté », écrivait une jeune héro de quinze ans, combattant de la liberté, pour expliquer que la croix et le sacrifice sont les fondements de la liberté.
Le chemin de la liberté chrétienne est le chemin de la croix et de l’ascèse qui demande un effort, une humilité profonde, le repentir, la victoire sur soi, la négation de tout intérêt personnel au profit de l’amour. La vraie liberté est unie à l’amour, elle se développe à l’intérieur de la liberté de l’amour. Le Christ est le témoin de la liberté et de l’amour, de l’amour libre entre Dieu et l’homme.
La loi de la liberté sera aussi la mesure de notre jugement final, qui s’exprimera à travers la loi de l’amour. « Parlez et agissez comme des gens qui doivent être jugés par une loi de liberté. Car le jugement est sans miséricorde pour qui n’a pas fait miséricorde », dit le saint apôtre Jacques, le frère du Seigneur (Jc 2, 12-13).
Dans la société actuelle des droits et des revendications, l’homme peine à comprendre la signification de la vraie liberté de l’amour : en cherchant à dominer ses frères, de serviteur de la liberté il se transforme en serviteur de lui-même. Nous comprenons que nous sommes vraiment libres lorsque nous sommes crucifiés et non lorsque nous crucifions, lorsque nous sacrifions nos droits en faveur des droits des autres, lorsque nous offrons et partageons, et non lorsque nous revendiquons. La vraie liberté est dans le don, et non dans le fait de recevoir.
6) La liberté, expression de la civilisation et de la vie, et ligne directrice de l’histoire
Avec de tels fondements de la liberté réelle, il n’existe pas de motifs religieux qui justifient un choc violent entre les cultures et les principes du christianisme et de l’islam. La récente et fameuse théorie du choc, inévitable et violent, entre ces civilisations ne peut pas se baser sur de véritables motifs religieux. Si les aspirations des nations ou des facteurs géopolitiques conduisent à des conflits entre des peuples musulmans et chrétiens, si les religions se mettent au service des politiciens pour accentuer l’idée de la diversité, de l’hostilité d’un peuple vis-à-vis d’un autre, cela n’a aucun lien avec la vraie nature de la liberté.
Du reste, les guerres et tous les actes d’inimitié entre les membres d’une même religion et ceux de ses différentes dénominations, comme les orthodoxes serbes et les catholiques-romains croates, ou les sunnites et les chiites musulmans, témoignent que les causes réelles de ces conflits ne se trouvent pas dans leurs divergences sur le concept de liberté, mais dans les revendications liées à d’autres questions pratiques. Ceci est encore plus évident dans les cas de conflits entre des peuples qui appartiennent précisément à la même foi religieuse, phénomène qui se manifeste souvent dans notre histoire, encore aujourd’hui.
Fondamentalement, le moyen d’aplanir toute différence ethnique, économique, idéologique ou de tout autre nature, est de développer des dialogues sérieux et de bonne foi entre les parties, en vivant au quotidien, et en cohérence avec son environnement, le don divin de la liberté. Et ceci est particulièrement valable pour les chefs religieux. Sinon, Dieu permettra les catastrophes, les destructions et les insuccès de nos œuvres en raison du mauvais usage qui est fait du don de la liberté et de l’amour.
La vraie liberté met fin aux préjugés, contribue à la compréhension mutuelle et prépare le terrain pour trouver des solutions pacifiques à tous les problèmes. Mais la première conséquence de la liberté est qu’elle rapproche et révèle la véritable personnalité de celui qui dialogue.
C’est la liberté par laquelle le Christ nous a libérés qui constitue pour nous l’occasion de dépasser nos propres limites, y compris pour comprendre le point de vue de notre interlocuteur. Cette attitude libère l’esprit de l’approche unilatérale. Le danger, dans cette ouverture à la perception de l’autre, est de penser que la confrontation avec l’autre remet en cause les fondements de notre foi. Il n’y a pas de plus grand danger que de croire que notre édifice spirituel est affaibli si nous considérons meilleures que les nôtres la beauté et la perfection de l’édifice de notre interlocuteur.
Il y a beaucoup d’hommes qui sont tellement attachés à leurs propres convictions qu’ils préfèrent sacrifier leur vie plutôt que d’en changer. Ils se demanderont donc si nous ne promouvons pas l’instabilité et la facilité à changer de foi. Ce n’est pas ce que nous proposons. Au contraire, nous proposons un approfondissement, une infiltration continue et de plus en plus profonde dans la vérité. Si l’on approfondit cette affirmation, on constate que souvent les idées qui nous semblaient jusqu’alors contradictoires s’accordent bien entre elles.
L’évangile nous en donne un exemple : « Qui veut sauver sa vie la perdra » (cf. Mt 15, 25). Qui veut sauver sa vie doit accepter de la sacrifier, parce que la vie se gagne quand on la sacrifie et non quand on la protège des périls, par pusillanimité ou par peur de la perdre. La contradiction est évidente et l’acceptation de cette antinomie résiste au raisonnement des esprits rigides. C’est ce dont témoignent les personnes qui ont vécu en camps de concentration : ceux qui aimaient leur vie – ceux qui tentaient de se protéger des dangers – perdaient le combat pour l’existence, alors que survivaient ceux qui acceptaient volontairement le sacrifice.
Au fond du cœur de ce père de famille palestinien, qui, il y a des années, a donné à un hôpital israélien les organes de son jeune fils tué par les Israéliens, afin qu’ils soient transplantés chez un jeune malade, sans distinction, qu’il soit israélien ou palestinien, a brillé un rayon lumineux qui lui a révélé la vérité : tous les hommes sont frères, bien que, aujourd’hui, malheureusement, beaucoup croient être radicalement différents des autres et ne pas pouvoir coexister pacifiquement avec eux. De même que le jour et la nuit sont une seule et même chose, pourquoi le Grec, l’Italien et le juif, l’esclave et l’homme libre, l’homme et la femme, l’homme et l’homme de n’importe quelle tribu, langue et religion, ne sont-ils pas être une seule et même chose ?
7) L’esprit libre dans la Grèce antique
Les Grecs de l’Antiquité se sont distingués par leur capacité à recevoir de leur proche des connaissances et des idées et à les valoriser sans crainte d’être appauvris ou méprisés. Le très grand rayonnement de l’esprit grec dans l’Antiquité, pendant la période classique, est dû entre autres à ce carrefour voulu entre leurs idées et celles des autres peuples et civilisations, où se fondait en une nouvelle synthèse, avec un discernement admirable, tout le bien rencontré à l’extérieur de l’hellénisme.
Cette liberté d’esprit se trouve à la base de tout progrès spirituel. Nous croyons que là où est l’Esprit de Dieu, là est la liberté. Le danger qui menace la liberté spirituelle est de ne pas considérer les biens qu’elle offre. Malheureusement, comme nous l’avons déjà dit, nombreux sont ceux qui se construisent un château spirituel et idéologique à l’intérieur duquel ils s’enferment pour assurer leur intégrité spirituelle. Malgré cet effort, ils comprendront avec le temps que plus ils protègent leur esprit de l’arrivée d’idées neuves, plus leur vie sera « angoissée » parce que l’infiltration des idées est si forte qu’aucun obstacle ne peut les empêcher d’entrer dans le cœur des hommes.
Il faut dire clairement que l’approfondissement dans la vérité de la liberté n’entraîne pas nécessairement de changer de religion, comme beaucoup le soutiennent. Il est possible que cela arrive dans certains cas et le droit de chacun à changer de foi doit être respecté. Mais en parlant d’approfondir, nous voulons parler de parfaire notre manière de penser et de comprendre et donc de rechercher la plus claire connaissance de la vérité dans la liberté.
Dans la langue ecclésiastique grecque, nous utilisons le mot « metanoia » qui signifie exactement changement d’esprit, de mentalité, opération nécessaire, selon les Pères de l’Église, proche du repentir. « Dans le repentir la sincérité, dans le repentir la liberté » dit saint Jean Chrysostome (Sur le repentir, VIII, P.G. 49, 338).
La connaissance de la vraie liberté et l’aspiration à celle-ci contribuent beaucoup à ce changement de mentalité : nous espérons qu’en fêtant cet anniversaire, nous parviendrons à un meilleur approfondissement au moins de ces vérités qui facilitent la coexistence pacifique des hommes. Parce que les différences entre les hommes sont en tous cas moindres que celle qui existe entre le jour et la nuit.
8) Le vécu de la vraie liberté entre chrétiens et musulmans
Il faut suivre avec une attention particulière le développement des thèmes liés à la situation des chrétiens en pays musulmans et des musulmans en pays chrétiens. La situation des chrétiens dans certains pays musulmans nécessite des améliorations importantes pour consentir des libertés et des possibilités analogues à celles dont jouissent les musulmans dans les pays chrétiens.
Il convient d’avancer dans cette direction en abandonnant les blessures angoissées du passé. L’histoire a enregistré des comportements de peuples et gouvernements chrétiens qui ne sont pas compatibles avec l’évangile, et des comportements de peuples et de gouvernements islamiques qui ne sont pas en accord avec le Coran. Il est temps de faire ce que dit le Seigneur. Que tous convergent vers ce que la volonté de Dieu commande à tous les hommes. Celui qui a la grâce dans son cœur fait l’expérience que Dieu, miséricordieux et compatissant, ne se complait pas dans les massacres mais dans la paix, bien suprême et don divin. Chrétiens et musulmans se réjouissent mutuellement de la parole de paix qui s’identifie à la liberté.
9) Le comportement de l’Église orthodoxe devant la préoccupation pour la liberté et les droits de l’homme
Il est évident que tout ce qui a été dit jusqu’ici ne sous-estime pas les conquêtes et les progrès des sociétés humaines quant à la liberté et aux droits de l’homme. Ces conquêtes ont pour point de départ l’Édit publié il y a 1700 ans dans cette ville historique. Vous avez donc, et nous avons le droit d’exalter cet acte et les conséquences qui en ont découlé. Le souci de soutenir l’homme face à toute oppression et privation injuste de sa liberté – exprimée aussi après la Révolution française dans la « Déclaration des droits de l’homme », n’est pas quelque chose de nouveau pour le christianisme mais il est contenu dans l’enseignement à la fois divin et humain donné par le Christ et ses saints apôtres, il y a 2000 ans (dans les saints évangiles et dans les écrits des Pères Théophores). Et l’Église ne peut qu’approuver cette préoccupation.
Mais, pour l’Église, la démocratie n’est légale que lorsqu’elle exprime la participation du peuple à la nomination des chefs et des gouvernements, en respectant les droits de Dieu et les lois divines. La prétention de la nation à s’autodéterminer comme le fondement suprême des canons qui inspire et institue les lois ne peut être acceptée par l’Église ; elle est rejetée comme une prétention luciférienne qui mène l’homme à son autodestruction.
Pour l’Église, tout effort en vue d’acquérir la liberté doit s’adresser d’abord à l’homme intérieur pour être ensuite étendu aux autres. Pour l’Église orthodoxe, l’homme a l’entière responsabilité de lutter pour la réalisation de l’aspect positif de la liberté dans sa propre personne, de devenir chaque jour authentiquement libre, se reniant lui-même et rejetant sa tendance au péché.
Tous les mouvements humains qui ont tenté d’atteindre la liberté hors de Dieu, sans le Christ, non seulement ont fini par échouer mais ont eu aussi des conséquences catastrophiques pour l’humanité.
Il ne faut pas oublier que, à la Révolution française de 1789, avec ses déclarations progressistes, ont suivi les massacres des années 1792-1794 et les millions de morts des guerres napoléoniennes. Il ne faut pas oublier que, à la Révolution d’Octobre en Russie, ont suivi les millions de victimes des persécutions staliniennes et des terribles camps de concentration en Sibérie.
Malheureusement, il n’y a pas que le fondamentalisme et la haine religieuse qui privent l’homme de ses droits fondamentaux. Cette soif de liberté ne trouvera pas sa réalisation si l’homme européen ne se relie pas à l’héritage chrétien de Constantin le Grand, personnalité éminente et sainte qui a tracé un signe dans l’histoire du monde, comme seul un saint pouvait le faire. Lorsque les peuples d’Occident ne cherchent un fondement à la morale et au droit que dans l’homme et dans la nation, en oubliant Dieu, alors les droits de l’homme resteront de simples déclarations sur le papier.
C’est ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient. Des révolutions, des renversements de régimes, des guerres pour demander davantage de liberté et l’instauration de la démocratie. Malgré cela, les résultats ne sont pas positifs ; ils sont même parfois très décourageants.
La violence religieuse, la haine, le manque de tolérance envers les chrétiens, continuent à dominer dans des pays qui sont le théâtre de révolutions. Les événements politiques qui ont lieu au Moyen-Orient, dans des lieux traversés par Dieu, les catastrophes naturelles, l’insécurité quant à l’avenir, sont des menaces pour les chrétiens, pour leur vie et celle de leurs familles. En Syrie, les chrétiens de toute confession, clercs et laïcs, malgré tous leurs efforts pour rester neutres dans le conflit civil, bien qu’ils mènent une vie tranquille et pacifique, sont éprouvés et menacés tous les jours d’être séquestrés et tués.
Le patriarche œcuménique condamne sans hésitation ces situations et celles qui leur sont analogues. Loin de toute position politique, nous réprouvons, en tant que chef spirituel et patriarche œcuménique, l’usage de la violence et les persécutions des chrétiens pour le simple fait qu’ils sont chrétiens.
Nous n’avons pas peur de ceux qui usent de la violence contre les chrétiens, parce que la résurrection du Seigneur a aussi vaincu la mort. Comme chrétiens, nous n’avons pas peur des persécutions, parce que les persécutions sont la page écrite en lettres d’or de l’histoire de notre Église ; elles ont exalté des saints, des martyrs et des héros de la foi. Mais nous ne cessons pas pour autant d’adresser nos protestations à la Communauté internationale parce que, 1700 ans après la concession de la liberté religieuse par l’Édit de Milan, les persécutions continuent dans le monde sous de multiples formes.
Nous lançons donc un appel afin que prévalent la paix et la sécurité tant dans le Moyen-Orient – où le christianisme conserve ses sanctuaires les plus anciens et vénérables et où la tradition chrétienne est tellement profonde et liée à la vie du peuple – que dans le monde entier, là où la liberté de la foi dans le Christ est piétinée par le terrorisme, les guerres, les oppressions économiques et de bien d’autres manières. On ne remédie à de telles situations que par une autocritique personnelle, avec la grâce de l’Esprit-Saint. Nous condamnons tout ceci, et nous proclamons la liberté dans le Christ. La liberté est pour le chrétien un mode de vie. La liberté la plus élevée est la pureté de notre esprit et la liberté parfaite est la pureté du cœur. Voilà la liberté de Dieu qui plonge ses racines, sa plénitude et sa perfection dans la liberté de l’homme. La liberté de l’homme est la liberté de Dieu.
L’Édit de Milan constitue un sommet dans la vie de l’humanité et il représente, pour notre monde tourmenté, l’espérance de lendemains meilleurs. Il est en même temps une suggestion afin que le monde comprenne qu’il ne peut atteindre sa vraie liberté que dans le Christ. Saint Jean Chrysostome en témoigne, lui qui a servi dans la liberté : « Celui qui ne cherche pas la gloire reçoit dès maintenant sa récompense ; il n’est esclave de personne, mais il est libre de la vraie liberté » (À Jean, 73, P.G. 59, 349).
Amen.
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat