Marine Le Pen de Brest à Vladivostok
publié dans regards sur le monde le 26 juin 2013
Marine Le Pen de Brest à Vladivostok
par: Michel Garroté
–Récemment, l’intellectuel et analyste français Aymeric Chauprade a lancé depuis Moscou un appel du 13 juin qui reflète ce que pense une partie non négligeable des Français. Puis, c’est Marine Le Pen qui a rencontré à Moscou, le président de la Douma (chambre basse du parlement russe), ainsi que l’un des plus proches alliés de Poutine, Sergueï Narychkine, le vice-Premier ministre, Dmitri Olegovitch Rogozin, et Alexeï Pouchkov, qui dirige le comité des affaires internationales de la Douma. A cette occasion, Marine Le Pen a été interviewée par Hugo Natowicz pour RIA Novosti. Les médias français, toujours aussi amoureux de la liberté, n’ayant pratiquement pas relayé ces informations, je publie ci-dessous l’interview de Marine Le Pen avec RIA Novosti. Si nombre des analyses formulées par Marine Le Pen dans cette interview sont très éloignées des miennes, je dois cependant admettre que sur certains points, je lui donne raison. Et puis, je dois également admettre qu’à mes yeux, Poutine a plus de valeur qu’Obama, Sarkozy et Hollande…
Hugo Natowicz, RIA Novosti : C’est la première fois que vous réalisez une visite officielle en Russie. En tant que responsable politique, quelle est la portée symbolique d’une telle visite, pourquoi la Russie ?
Marine Le Pen : Sa portée est importante car les Russes sont attachés à leur identité, à leur culture, ils refusent de se soumettre au modèle ultralibéral et mondialiste que je combats moi-même en France. Nous sommes des peuples frères, et il y a tout intérêt à envisager pour l’avenir des relations approfondies entre la Russie et la France. On a l’impression que depuis plusieurs années, l’Union européenne pousse la France à distendre ces relations.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : Vous avez rencontré le président de la Douma (chambre basse du parlement russe). Quels thèmes ont été traités ? Quelles sont vos impressions à chaud ?
Marine Le Pen : Nous avons été reçus de manière courtoise et avons évoqué des sujets importants, notamment des sujets d’actualité internationale comme la Syrie. Nous sommes le seul mouvement politique français à nous être opposés à toute intervention en Syrie et à avoir lourdement condamné l’intervention en Libye. Le président de la Douma m’a évoqué ses très fortes inquiétudes concernant la loi (française) sur le mariage homosexuel. J’ai d’ailleurs été amenée à plaider un peu pour ces couples français dont la procédure d’adoption était en cours pour adopter des enfants russes et qui ont vu ces procédures s’arrêter net du fait du vote de la Douma. Il m’a dit qu’il allait examiner cela avec intérêt.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : Vous avez évoqué un partenariat stratégique avec la Russie. Quels sont concrètement les grands domaines dans lesquels la coopération peut se développer ?
Marine Le Pen : Concrètement, ça peut être l’aéronautique, les technologies, l’industrie du médicament. Ça peut être l’énergie. Je préfère avoir des relations privilégiées avec la Russie qu’avec le Qatar, voyez-vous.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : En 2005, votre père Jean-Marie Le Pen prônait la construction d’une Europe des nations « de Brest à Vladivostok », une idée jadis énoncée par De Gaulle. L’Europe peut-elle se libérer de la tutelle américaine et se recentrer sur un espace continental ?
Marine Le Pen : Oui je le crois, et j’y œuvre. Je pense que l’Union européenne est devenue un système antidémocratique supranational qui est en train de ruiner les peuples et en même temps de leur faire perdre leur substance sur le plan de l’identité et de la culture. Par conséquent, lorsque cette Union européenne se sera effondrée, ce qui je crois arrivera, nous pourrons alors construire une Europe des nations libres et souveraines avec des accords de coopération entre les différentes nations. Et à ce moment-là, l’Europe pourrait tout à fait aller jusqu’à la Russie.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : La Russie est préoccupée par l’extension de l’Otan vers l’est et le déploiement d’un bouclier antimissile à ses frontières. Quelle est votre position à l’égard de cette mainmise américaine sur la sécurité européenne ?
Marine Le Pen : D’abord je suis pour la sortie de l’Otan. Je ne comprends pas aujourd’hui quelle est aujourd’hui son utilité. Quel est l’ennemi ? C’est très bien d’avoir une organisation de défense commune, mais contre qui ? Il n’y a pas beaucoup de responsables qui sont capables de répondre à cette question. La France doit retrouver une voix spécifique dans un monde multipolaire, et non unipolaire comme il l’est sous domination américaine. Que les Etats-Unis défendent leurs intérêts, c’est tout à fait légitime, tout comme pour l’Allemagne. Il n’y a qu’un malheur, c’est que parfois ces intérêts sont contradictoires avec ceux de la France. Je regrette que dans ce contexte, la France ne puisse pas défendre ses propres intérêts. L’intérêt de l’Europe est plus de développer les relations avec l’est, plutôt qu’avec l’ouest.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : Lors du sommet du G8, le président russe Vladimir Poutine a salué le lancement de négociations entre l’UE et les USA sur une zone de libre-échange. Que vous inspire ce projet ?
Marine Le Pen : J’en pense le plus grand mal. Car une zone de libre-échange avec les Etats-Unis, ce sera la ruine de l’agriculture française et de la défense française. Or tout ce qui va dans le sens de l’affaiblissement de l’Europe va dans le mauvais sens, tout comme une interdépendance trop importante avec la puissance américaine. Après l’entrée en vigueur de cet accord, on ne pourra plus reprendre notre liberté sous peine de sanctions et de pressions. Cela ne va pas dans le sens de l’indépendance de l’Europe, et particulièrement de la France, qui m’intéresse en premier lieu.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : Les Français traités de « réactionnaires » par M. Barroso en raison de leur « exception culturelle »… ? !
Marine Le Pen : L’Union européenne montre son vrai visage. C’est une structure antinationale, qui vise à la disparition des nations, à la suppression des frontières, et à la mise en esclavage, par la dette d’ailleurs, des peuples. Par conséquent, je considère que je suis en résistance contre M. Barroso.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : Dans le domaine moral, Paris et Moscou s’éloignent. La France légalise le mariage gay à l’heure où la Russie interdit la promotion de l’homosexualité auprès des mineurs. Avez-vous abordé ce thème à Moscou? Y a-t-il une convergence avec vos interlocuteurs russes au niveau sociétal ?
Marine Le Pen : Oui, bien sûr que nous avons abordé ces sujets, car je crois que la Russie est très inquiète de la multiplication de ces lois, et assez agacée, il faut le comprendre, par le fait que l’Union européenne se considère comme porteur des valeurs universelles, exigeant des autres nations que celles-ci se soumettent. C’est contestable, je suis moi-même opposée au mariage homosexuel et à l’adoption par les couples homosexuels, par conséquent je partage le refus de cette loi avec la Russie. Je suis d’ailleurs à la tête du seul mouvement politique qui a pris l’engagement de revenir sur cette loi si nous arrivons au pouvoir. Je pense que les nations sont libres, souveraines, démocratiques, et l’Union européenne ne peut pas imposer ses vues aux nations du monde.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : Votre visite à la Douma intervient quelques jours après le discours de l’intellectuel français Aymeric Chauprade devant la chambre basse. Ce dernier décrivait devant les députés russes « des peuples trahis par leurs élites, assoupis devant la perte de souveraineté et l’immigration massive, mais que l’attaque contre la famille commence à réveiller ». Etes-vous d’accord avec cette analyse ? Un « réveil » est-il en marche ?
Marine Le Pen : Oui, je souscris totalement à la déclaration de M. Chauprade, dont je suis de très près les travaux. L’excès et la brutalité avec lesquels le gouvernement français a imposé cette loi (sur le mariage homosexuel), en faisant fi des véritables centres d’intérêt et des préoccupations des Français, a entraîné un réveil d’une partie de la population française, qui s’est re-politisée et à mon avis pèsera lourd lors des prochaines échéances électorales.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : Vous bénéficiez actuellement de 40% d’opinions favorables. Des élections municipales et européennes auront lieu dans un avenir relativement proche. Pourquoi ce regain de popularité maintenant ?
Marine Le Pen : Chaque jour apporte la démonstration que le Front national a eu raison dans le diagnostic qu’il a posé. Chaque jour pousse les Français à s’intéresser et à adhérer aux solutions qui sont les nôtres. J’ai nommé un réarmement face à la mondialisation, retrouver le chemin de la souveraineté du peuple, de la démocratie, et de l’indépendance, le patriotisme économique, et le retour d’un Etat stratège qui ne se soumet pas devant les puissances d’argent. Et tout cela agrège de plus en plus de Français qui viennent de droite ou de gauche.
Hugo Natowicz, RIA Novosti : Les nationalistes russes manifestent régulièrement contre Vladimir Poutine, qu’ils jugent trop laxiste. Quelle est la différence entre le patriotisme que vous (et de nombreux dirigeants russes) invoquez, et le nationalisme, comment faire en sorte que ce patriotisme ne se transforme pas en un nationalisme agressif et violent ?
Marine Le Pen : Sémantiquement, le nationalisme a été compris au fil du temps comme une défense agressive de la patrie, un rejet des autres. Le patriotisme, c’est l’amour des siens, et c’est la volonté de défendre, quand on est un dirigeant, les intérêts de sa nation et de son peuple. Nous sommes résolument dans le camp des patriotes, des patriotes démocrates, et nous voulons en quelque sorte une révolution, mais une révolution démocratique, pacifique et patriotique.
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