Mgr Dagens : « Ne pas céder à une logique de terreur »
publié dans nouvelles de chrétienté le 12 avril 2014
TC : La Conférence des évêques a annulé une conférence de Fabienne Brugère devant les responsables diocésains de la Pastorale de la famille, à la suite d’une pression de groupes ultra-catholiques. Que pensez-vous des critiques portées contre cette philosophe ?
Mgr Dagens : Je n’ai pas lu ses écrits. J’ai entendu dire que La Politique de l’individu (1) est un livre estimable de philosophie politique sur les excès de l’individualisation et l’oubli des valeurs de solidarité dans notre société marchande. Nous sommes dans la tonalité de beaucoup de philosophes largement reçus dans les milieux catholiques, comme Marcel Gauchet. Tout ce que j’ai lu sur le genre me donne l’impression d’idées assez floues et malléables. Leurs auteurs eux-mêmes évoluent. Cela n’en fait pas une théorie immuable.
Que signifie cette attaque des ultras ?
Nous sommes en pleine guérilla idéologique et je me refuse à y entrer. Comme je dis non aux discours « sociologisants » qui réduisent à rien le christianisme, je récuse l’instrumentalisation idéologique d’un catholicisme qui n’est pas vraiment chrétien.
Deux interprétations du christianisme se font face. Soit Dieu est l’anti-mal et le camp du bien fait la guerre au camp du diable ; et Dieu est plus le dictateur suprême que le père de l’enfant prodigue. Soit nous croyons que « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3, 17).
Avec certains qui se réclament d’un catholicisme dur, implacable, intransigeant, nous n’avons pas le même Dieu. Il faudra nous l’avouer.
Que pensez-vous de la décision de déprogrammer cette intervention ?
On a réagi à des pétitions, à des dénonciations anonymes. Ce procédé, inadmissible, a été pratiqué par les anti-modernistes du début du XXe siècle. Dans Evangelii Gaudium, le pape François déplore que ces plaintes arrivent à Rome et demande qu’elles soient gérées par les évêques. Dans le cas présent, ils n’ont pas été consultés. Mgr Pontier et les membres du service « Famille et société » ont finalement cédé à une pression. On ne doit jamais plier devant une logique de terreur. Certains vont se gargariser de leur prétendu « triomphe » face aux évêques français.
Qu’auriez-vous fait ?
J’aurais maintenu la conférence prévue et proposé aux contestataires une confrontation au calme, non sur le terrain des dénonciations mais sur celui de la raison. Après les avoir entendus, je leur aurais demandé d’écouter des personnes ne partageant pas l’intégralité de la foi catholique. Nous vivons cela dans nos familles, avec nos amis. On se rencontre, on s’explique et on prend le temps de se comprendre, de s’accepter et, autant que possible, de se pardonner. Mais, avec des dénonciateurs anonymes, la culture de la rencontre qui est chère au pape François s’avère difficile.
Et maintenant ?
Le mal est fait. Le sujet sera forcément abordé à Lourdes lors de notre réunion d’avril. Chacun de nous garde sa liberté. Mais, si la consigne est simplement d’être gentil, nous n’en sortirons pas.
En province, la population est surtout marquée par le chômage et par la multiplication des situations de précarité. Nous devons former une Église qui soigne les blessures et réchauffe les cœurs, dit le pape François, convaincu que Dieu est à l’œuvre dans la vie de tout être humain.
Le père Congar disait : l’Esprit-Saint est donné à l’Église pour faire face à des situations nouvelles, de manière chrétienne et intelligente, non pour répéter les discours du passé. Que l’expérience nous serve de leçon.