A propos de la rencontre œcuménique du Pape François et du Patriarche Bartholomée
publié dans regards sur le monde le 7 juin 2014
A propos de la rencontre œcuménique du pape François et du patriarche Bartholomée
SOURCE – DICI (FSSPX) – 6 juin 2014
Le voyage du pape en Terre Sainte, du 24 au 26 mai 2014, a été effectué à l’occasion du cinquantième anniversaire de la rencontre historique entre le pape Paul VI et le patriarche de Constantinople, Athénagoras, les 5 et 6 juin 1964.
A l’époque, cette rencontre eut un grand retentissement, puisqu’il fallait remonter à 1439 – soit 525 ans plus tôt – pour voir un pape, Eugène IV, recevoir le patriarche de Constantinople, après quatre siècles de schisme. C’était à Ferrare et un retour des Orientaux à la communion catholique semblait à portée de main. Mais est-ce le cas aujourd’hui ?
Il y a 50 ans
Le dimanche 5 janvier 1964, Athénagoras rendit visite à Paul VI dans les bâtiments de la délégation apostolique à Jérusalem. Après l’accolade historique, échangée selon le strict pied d’égalité prévu par le protocole, une conversation privée de vingt minutes eut lieu entre les deux hommes. Le patriarche déclara au pape « qu’il était temps d’en finir avec la division. Pourquoi rester séparés quand rien de fondamental ne nous divise ? » [1]. Puis il adressa au représentant de la « très sainte Eglise de l’ancienne Rome » [2] une allocution dans laquelle il forma le vœu que cette rencontre soit « l’aube d’un jour lumineux et béni » qui mettrait fin à « la nuit de la séparation » dans laquelle « vit le monde chrétien depuis des siècles ».
Le lendemain, dans la matinée du 6 janvier, le pape Paul VI rendit sa visite au patriarche Athénagoras en sa résidence du mont des Oliviers. Il y évoqua la figure de Jean XXIII comme l’initiateur du rapprochement entre les représentants de l’Eglise catholique et du patriarcat de Constantinople « après des siècles de silence et d’attente ». Surtout, il traça le chemin que devrait prendre l’œcuménisme à l’égard des schismatiques orientaux. Il déclara : « Les voies qui mènent à l’union pourront être longues et semées de difficultés. Mais les deux chemins convergent l’un vers l’autre et aboutissent aux sources de l’Evangile ». Autrement dit : parce que Rome et Constantinople se réclament du Christ et de son Evangile, leur point d’arrivée – l’unité de l’Eglise voulue par le Christ – doit être lui aussi convergeant. Ce qui, en clair, revient à supposer que l’Eglise fondée par le Christ n’est plus une, depuis 1054.
« Les divergences d’ordre doctrinal, liturgique, disciplinaire, devront être examinées en temps et lieu opportun », continuait Paul VI. Mais dès à présent devait progresser la charité fraternelle entre chrétiens, spécialement en pardonnant les offenses du passé. Un communiqué commun fut publié où l’on formait des prières « pour que resplendisse toujours davantage, aux yeux de tous les chrétiens, la vérité de l’unique Eglise du Christ et de son Evangile. » [3]
Depuis cette première rencontre, d’autres ont suivi. Paul VI a retrouvé le patriarche Athénagoras le 26 octobre 1967, après la mutuelle révocation, le 7 décembre 1965, des décrets d’excommunication de 1054. Son successeur, Jean-Paul II, a rencontré le patriarche de Constantinople dès 1979, et a entretenu le dialogue au cours de plusieurs réunions. Parallèlement a été mise sur pied une Commission mixte internationale qui se réunit régulièrement pour aborder les questions en suspens (succession apostolique, autorité dans l’Eglise, uniatisme, primauté de l’évêque de Rome…).
En 1981, le métropolite Damaskinos, quoique toujours dans le schisme, fut invité à prêcher à des catholiques dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Quelques années plus tard, le 6 décembre 1987, le patriarche Dimitrios Ier y coprésida une « liturgie de la Parole » avec Jean-Paul II. Le lendemain, une déclaration commune rejetait « toute forme de prosélytisme ». Cette prise de position devait aboutir aux accords de Balamand, du nom d’un monastère au Liban, dont la déclaration commune du 23 juin 1993, en son article 22, voit l’Eglise catholique renoncer « à toute volonté d’expansion au détriment de l’Eglise orthodoxe » [4]. Ce qui équivaut à interdire tout mouvement de retour à la communion de l’Eglise en Europe de l’Est principalement…
Dans cette déclaration de Balamand, il est écrit que « l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe se reconnaissent mutuellement comme églises sœurs, responsables ensemble du maintien de l’Eglise de Dieu dans la fidélité au dessein divin, tout spécialement en ce qui concerne l’unité » [5]. Cette expression sera reprise dans la déclaration commune que signèrent, le 29 juin 1995 à Rome, Jean-Paul II et Bartholomée Ier. En revanche, elle ne figure pas dans celle du 30 novembre 2006 signée par Benoît XVI et le même patriarche de Constantinople, pas plus que dans celle du pape François et du patriarche Bartholomée, le 25 mai 2014.
50 ans après
Le pape François a donc rencontré le successeur du patriarche Athénagoras dans le même lieu qui vit se dérouler l’accolade historique de 1964. Le pape et le patriarche Bartholomée y ont publié une déclaration commune présentant « cette rencontre fraternelle » comme « une nouvelle et nécessaire étape sur la route de l’unité à laquelle seul l’Esprit Saint peut nous conduire, celle de la communion dans une légitime diversité. » Après avoir rappelé les étapes de ce dialogue œcuménique, la déclaration mentionne différents points essentiels :
1) « La possibilité offerte de pouvoir « professer notre foi au même Evangile du Christ, tel qu’il fut reçu par les Apôtres, exprimé et transmis à nous par les Conciles Œcuméniques ainsi que par les Pères de l’Eglise. Tandis que nous sommes conscients de ne pas avoir atteint l’objectif de la pleine communion, aujourd’hui, nous confirmons notre engagement à continuer de marcher ensemble vers l’unité pour laquelle le Christ notre Seigneur a prié le Père “afin que tous soient un” (Jn 17, 21). » (n°2)
Il faut souligner que les Conciles dont il est ici question ne sont que les sept premiers Conciles œcuméniques, les orthodoxes rejetant les quatorze suivants.
2) Le but demeure de partager un jour « ensemble le Banquet eucharistique », ce qui suppose « la confession de la même foi, une prière persévérante, une conversion intérieure, une vie renouvelée et un dialogue fraternel. » (n°3)
3) Le moyen privilégié reste le dialogue théologique entrepris par la Commission mixte internationale. Ici, il est intéressant de relever que la déclaration rend hommage à cet « exercice dans la vérité et dans l’amour qui exige une connaissance toujours plus profonde des traditions de l’autre pour les comprendre et pour apprendre à partir d’elles », tout en se défendant de « rechercher le plus petit dénominateur commun sur lequel aboutir à un compromis », car le dialogue théologique « est plutôt destiné à approfondir la compréhension de la vérité tout entière que le Christ a donnée à son Eglise, une vérité que nous ne cessons jamais de mieux comprendre lorsque nous suivons les impulsions de l’Esprit Saint. Par conséquent, nous affirmons ensemble que notre fidélité au Seigneur exige une rencontre fraternelle et un dialogue vrai. Une telle quête ne nous éloigne pas de la vérité ; tout au contraire, à travers un échange de dons, sous la conduite de l’Esprit Saint, elle nous mènera à la vérité tout entière » (cf. Jn 16, 13). (n°4)
Il semble donc qu’aucune des deux parties en présence ne détienne à elle seule la vérité tout entière, celle-ci étant encore à rechercher par la rencontre et le dialogue. Peut-on se satisfaire d’une telle position ?
La déclaration mentionne ensuite les terrains sur lesquels catholiques et orthodoxes peuvent « travailler ensemble au service de l’humanité, spécialement en défendant la dignité de la personne humaine à toutes les étapes de la vie et la sainteté de la famille basée sur le mariage, en promouvant la paix et le bien commun, et en répondant à la souffrance qui continue d’affliger notre monde. » Sont alors mentionnés « la faim, la pauvreté, l’analphabétisme, l’inéquitable distribution des ressources », mais aussi l’exclusion et la marginalisation dans la société, ainsi que la sauvegarde de la planète et la lutte contre le gaspillage. (n°5-6)
Enfin, la déclaration commune exhorte les chrétiens à « sauvegarder partout le droit d’exprimer publiquement [leur] foi, et d’être traité[s] équitablement lorsqu’on promeut ce que le Christianisme continue d’offrir à la société et à la culture contemporaines. A ce propos, nous invitons tous les chrétiens à promouvoir un authentique dialogue avec le Judaïsme, l’Islam et d’autres traditions religieuses. L’indifférence et l’ignorance mutuelles ne peuvent que conduire à la méfiance, voire, malheureusement, au conflit. » (n°7)
Après avoir fait part de leurs vives préoccupations pour les chrétiens du Moyen Orient, « spécialement pour les Eglises en Egypte, en Syrie et en Irak » (n°8), les deux signataires lancent « un appel à tous les chrétiens, ainsi qu’aux croyants de toutes les traditions religieuses et à tous les hommes de bonne volonté, à reconnaître l’urgence de l’heure qui nous oblige à chercher la réconciliation et l’unité de la famille humaine, tout en respectant pleinement les différences légitimes, pour le bien de toute l’humanité et des générations futures. » (n°9)
ANALYSE
Une vision fausse de l’unité de l’Eglise
Le processus œcuménique avec les Orientaux, depuis cinquante ans, consiste en un dialogue entre deux églises sœurs placées à égalité, l’une fondée par Pierre à Rome, l’autre fondée par André à Constantinople. Il présuppose que l’Eglise n’est plus une, mais divisée, et que la marche vers la vérité tout entière, sous la conduite du Saint-Esprit, « exige une connaissance toujours plus profonde des traditions de l’autre pour les comprendre et pour apprendre à partir d’elles ». Ce processus œcuménique espère donc un enrichissement commun qui permettra d’accéder à la vérité tout entière, en vue de reconstituer l’unité rompue voici bientôt mille ans.
Cette vision est doublement fausse. D’une part elle méconnaît la véritable nature de l’Eglise du Christ, fondée sur Pierre et restée une malgré les désaffections, les schismes et les hérésies. D’autre part, s’il est légitime de regretter les divisions et d’œuvrer pour la fin des schismes, le retour des égarés et l’extinction des hérésies, encore faut-il prendre les moyens que l’Eglise une et sainte a toujours employés.
1) Quant à la véritable nature de l’Eglise. Les papes n’ont pas manqué, avant Vatican II, d’expliquer comment Dieu avait voulu, en vue de faciliter le salut du plus grand nombre d’âmes possible, fonder une société non seulement intérieure et spirituelle dans son but et ses causes productrices de grâce et de sainteté, mais encore extérieure et visible dans ses membres et les moyens par lesquels sont transmis les biens spirituels. C’est le grand mérite de Léon XIII d’avoir défini en quoi consiste cette unité de l’Eglise qui est la première de ses notes caractéristiques. Dans sa magistrale encyclique Satis cognitum, il explique que, de même que le Christ est un de par l’union des deux natures divine et humaine, de même l’Eglise est une de par l’union du Chef invisible et de ses membres visibles : « Il y a un seul Dieu, un seul Christ, une seule Eglise du Christ, une seule foi, un seul peuple, qui par le lien de la concorde est établi dans l’unité solide d’un même corps. L’unité ne peut pas être scindée : un corps restant unique ne peut pas se diviser par le fractionnement de son organisme » (saint Cyprien de Carthage).
L’Eglise est unique et une, « quoique les hérésies essayent de la déchirer en plusieurs sectes » (saint Clément d’Alexandrie). Ses membres ne forment qu’une société, un seul royaume, un seul corps, selon la volonté du Seigneur (cf. Jean, ch. 17). Le fondement de cette union est l’unité de foi, indispensable à la concorde entre les hommes puisque l’entente et l’union des intelligences est nécessaire si l’on veut œuvrer ensemble. Mais Dieu n’a pu vouloir l’unité de la foi sans avoir pourvu convenablement à la conservation de cette unité ; c’est la raison pour laquelle Jésus-Christ a établi un principe extérieur d’unité dans la foi, en donnant un mandat divin à ses Apôtres et en leur confiant une mission publique pour sauver les âmes : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Mt 28, 18-20).
Le Christ a donc établi l’Eglise gardienne de la foi pour veiller à en conserver l’intégrité et la pureté. Pour ce faire – continue le pape Léon XIII – il a institué « un magistère vivant, authentique et perpétuel », qu’il a investi de sa propre autorité en le revêtant de l’esprit de vérité et en ordonnant « que ses enseignements doctrinaux fussent reçus comme les Siens propres » : « Qui vous écoute, m’écoute ; qui vous méprise, me méprise » (Lc 10, 16).
Le Christ a encore bâti son Eglise comme une société parfaite, où toutes les nations doivent se réunir. A la fois divine et humaine, elle est gouvernée par une puissance souveraine requérant de droit divin l’unité de gouvernement et de communion. C’est l’autorité de Pierre, à qui a été confié le soin de l’ensemble du troupeau (Mt 16, 18 ; Jn 21, 15-17) : « C’est à Pierre que le Seigneur a parlé : à un seul, afin de fonder l’unité par un seul » (saint Pacien de Barcelone).
Seul Pierre a reçu le pouvoir des clefs qui assure pérennité et solidité à l’ensemble de l’édifice. Vrai pasteur de l’unique bergerie, le Pontife romain est le seul à détenir l’autorité de gouvernement sur toute l’Eglise – ce qu’on appelle la juridiction universelle, qui est un pouvoir propre et véritable, non une simple primauté d’honneur comme l’affirment les schismatiques orientaux. Soutien de la foi de ses frères qu’il doit affermir (Lc 22, 32), il jouit du privilège de l’infaillibilité pour assurer la transmission de l’immuable foi divine. Son autorité souveraine, universelle et indépendante s’exerce sur l’ensemble des pasteurs et des brebis du troupeau.
Les saints Pères, les conciles et le magistère constant de l’Eglise n’ont cessé d’affirmer la primauté du Pontife romain et son autorité sur les autres évêques comme sur les conciles, et cela en vertu du droit divin : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » (Mt 16, 18). « L’Eglise romaine, par la disposition du Seigneur, possède le principat de la puissance ordinaire sur toutes les autres Eglises, en sa qualité de mère et de maîtresse de tous les fidèles du Christ » (concile de Latran IV). « Racine et mère de l’Eglise catholique » (saint Cyprien), on ne saurait garder la foi catholique sans enseigner qu’on doive garder la foi romaine » (saint Augustin).
C’est en effet par la bouche de ses successeurs que Pierre continue de parler (conciles de Chalcédoine et de Constantinople III, profession de foi du pape Hormisdas). Principe et centre de l’unité de foi, de gouvernement et de communion, il tient de son unique Chaire la place du Christ dont il est vicaire sur la terre. A lui est confié tout spécialement le soin de conduire l’unique bercail, et d’y rappeler ceux qui un jour ont eu le malheur de le quitter.
L’enseignement de l’Eglise, épouse unique du Christ, sur la nature de son unité, est à la base d’un œcuménisme catholique bien compris. Il est exposé par le pape Pie XI dans l’encyclique Mortalium animossur l’unité de la véritable Eglise, ou par le pape Pie XII, dans Mystici corporis sur le Corps mystique de Jésus-Christ. Au nom du dialogue et de la rencontre fraternelle, il est mis de côté depuis le concile Vatican II, parce que refusé par les non-catholiques. Il s’agit pourtant d’un enseignement de foi. Comment peut-on dès lors « dialoguer en vérité », si on l’ignore délibérément ?
2) Quant aux moyens légitimes à employer pour favoriser le retour à l’unité de l’Eglise. Après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement œcuménique se structura à travers la fondation du Conseil Œcuménique des Eglises (COE), auquel le Saint-Siège interdit aux catholiques de prendre part. Pie XII demanda au Saint-Office de réglementer l’éventuelle participation de membres de l’Eglise à des discussions avec des non-catholiques. L’instruction du Saint-Office sur le Mouvement œcuménique adressée aux épiscopats du monde entier fut publiée par l’Osservatore Romano le 1er mars 1950. Le journal du Vatican y résume l’esprit qui doit guider la hiérarchie de l’Eglise « en ces délicates matières » : « Il ne saurait être question, pour aboutir à un résultat que tous appellent de leurs vœux, de diminuer ou de voiler d’une façon quelconque, les exigences de la foi, premier pas vers l’unité. (…) l’unité chrétienne vraie ne peut se faire que dans la foi de l’Eglise catholique dont sa hiérarchie est dépositaire… »
L’Instruction du Saint-Office édicte les règles prudentes que le Saint-Siège entend voir respecter. Son souci principal est que l’on use de méthodes dépourvues de toute ambiguïté, en veillant « à ce que, sous le faux prétexte qu’il faut beaucoup plus considérer ce qui nous unit que ce qui nous sépare, on ne nourrisse pas un dangereux indifférentisme… On doit éviter, en effet, que dans un esprit que l’on appelle aujourd’hui irénique, la doctrine catholique, qu’il s’agisse de dogme ou de vérités connexes, ne soit elle-même, par une étude comparée et un vain désir d’assimilation progressive des différentes professions de foi, assimilée ou accommodée en quelque sorte aux doctrines des dissidents, au point que la pureté de la doctrine catholique ait à en souffrir ou que son sens véritable et certain en soit obscurci. »
De plus devra être écartée « cette manière dangereuse de s’exprimer qui donnerait naissance à des opinions erronées et à des espoirs fallacieux qui ne pourront jamais se réaliser, en disant par exemple que l’enseignement des Souverains Pontifes, dans les Encycliques sur le retour des dissidents à l’Eglise, sur la constitution de l’Eglise, sur le Corps mystique du Christ, ne doit pas être tellement pris en considération puisque tout n’est pas de foi ou, ce qui est pire encore, que dans les matières dogmatiques, même l’Eglise catholique ne possède pas la plénitude du Christ, mais qu’elle peut être perfectionnée par les autres Eglises. »
Afin de ne pas entretenir de vains espoirs et de funestes chimères, l’Instruction insiste sur l’essentiel : « La doctrine catholique doit par conséquent être proposée et exposée totalement et intégralement ; il ne faut point passer sous silence ou voiler par des termes ambigus ce que la vérité catholique enseigne sur la vraie nature et les étapes de la justification, sur la constitution de l’Eglise, sur la primauté de juridiction du Pontife Romain, sur la seule véritable union par le retour des chrétiens séparés à l’unique véritable Eglise du Christ. On pourra sans doute leur dire qu’en revenant à l’Eglise ils ne perdront rien du bien qui, par la grâce de Dieu, est réalisé en eux jusqu’à présent, mais que par leur retour ce bien sera seulement complété et amené à sa perfection. On évitera pourtant de parler sur ce point d’une manière telle que, en revenant à l’Eglise, ils s’imaginent apporter à celle-ci un élément essentiel qui lui aurait manqué jusqu’ici. Il faut leur dire ces choses clairement et sans ambiguïté, d’abord parce qu’ils cherchent la vérité, ensuite parce que en dehors de la vérité il ne pourra jamais y avoir une union véritable. »
L’extrême prudence du Saint-Siège est motivée en raison du « grave danger d’indifférentisme » auquel expose ce genre de réunion, par la confusion qui risque de s’installer. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on devra éviter « absolument toute participation mutuelle aux fonctions sacrées ».
Pour résumer d’un trait l’attitude circonspecte de l’Eglise en matière de dialogue ou de rapport œcuménique, il faut dire qu’elle garde toujours présente à l’esprit l’idée que « l’unité ne peut se réaliser que dans l’Eglise et par l’Eglise catholique ; elle ne peut se réaliser que dans la vérité ».[6]
L’oubli des principes de l’unité catholique
A l’aune de l’enseignement traditionnel de l’Eglise, la nouvelle étape franchie à Jérusalem par le pape François et le patriarche Bartholomée, le 25 mai, ne laisse pas d’interroger la conscience catholique, tant elle semble ignorer la véritable nature de l’unité de l’Eglise et s’écarter des règles de prudence établies par l’autorité apostolique.
Ce dialogue nouveau a été inauguré par le concile Vatican II, dans son décret Unitatis redintegratio (21 novembre 1964) qui regarde désormais avec bienveillance les chrétiens non-catholiques, qu’ils soient hérétiques ou schismatiques. Il s’inscrit dans la continuité des actes posés par les prédécesseurs du pape François, en particulier Jean-Paul II qui n’hésitait pas à déclarer :
« Si, au cours des siècles, est malheureusement intervenue la douloureuse fracture entre l’Orient et l’Occident dont, encore aujourd’hui, souffre l’Eglise, le devoir de reconstruire l’unité s’impose avec une particulière urgence, afin que la beauté de l’Epouse du Christ puisse apparaître dans toute sa splendeur. Car précisément du fait qu’elles sont complémentaires, les deux traditions sont dans une certaine mesure, imparfaites si on les considère isolément. C’est dans leur rencontre, dans leur harmonisation, qu’elles peuvent se compléter mutuellement et présenter une interprétation moins inadéquate du “mystère caché depuis les siècles et les générations, mais maintenant manifesté aux saints.” (Col. 1, 26) » [7]
Avec une telle conception, l’enseignement constant des Pontifes romains se trouve sapé de fond en comble.
Pourtant, dira-t-on, il est indéniable que l’on continue de reconnaître aujourd’hui la persistance de différends doctrinaux, liturgiques et disciplinaires. Le pape François lui-même, dans la réunion de prière œcuménique qu’il présida en la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem le 25 mai 2014, admet « qu’il reste encore du chemin à parcourir pour aboutir à cette plénitude de communion qui puisse s’exprimer aussi dans le partage de la même Table eucharistique ». Mais il n’hésite pas à entretenir ses auditeurs dans l’illusion d’une foi commune et, pour surmonter les différends qui subsistent, il renouvelle « le vœu déjà exprimé par (ses) prédécesseurs, de maintenir un dialogue avec tous les frères en Christ pour trouver une forme d’exercice du ministère propre de l’Evêque de Rome qui, en conformité avec sa mission, s’ouvre à une situation nouvelle et puisse être, dans le contexte actuel, un service d’amour et de communion reconnu par tous (cf. Jean-Paul II, encyclique Ut unum sint, 25 mai 1995, n°95) ». C’est là une inversion gravement dommageable : le fondement visible de l’unité de l’Eglise institué par Jésus-Christ, dont la charge est de conduire tout le troupeau des pasteurs et des brebis, s’abaisse au degré que veut bien lui reconnaître ceux qui la contestent.[8]
Conclusion
Aujourd’hui comme il y a 50 ans, les mêmes divergences doctrinales demeurent. Elles concernent les quatorze Conciles œcuméniques de l’Eglise catholique réunis entre le IXe et le XXe siècle, que les Orientaux refusent de reconnaître, et avec eux les dogmes qui y ont été proclamés ou affermis, et toute la discipline qui en a découlé… Elles concernent le Filioque, la juridiction universelle du Pontife romain et son infaillibilité lorsqu’il s’exprime ex cathedra, et aussi les dogmes mariaux comme celui de l’Immaculée Conception… Ce ne sont pas là de petites choses, malgré ce qu’affirmait Athénagoras en 1964 : « Pourquoi rester séparés quand rien de fondamental ne nous divise ? »
La vérité – pour reprendre les propres termes du Saint-Office sous le Pape angélique – est que l’esprit irénique est préféré à la doctrine immuable du catholicisme, et que, par un vain désir d’assimilation progressive, on s’accommode de l’esprit d’erreur qui a conduit tant d’âmes à s’éloigner de l’unique Epouse du Christ. Au point que la pureté de la doctrine catholique en souffre et que son sens véritable et certain en est obscurci.
Pour œuvrer à l’unité véritable, le pape saint Pie X exhortait à travailler inlassablement « afin que les brebis dispersées par la dissension se réunissent dans une même profession de foi catholique, sous un seul Pasteur suprême ». En effet, expliquait-il, « on ferait œuvre absolument vaine si d’abord on ne maintenait fidèle et entière la foi catholique, telle quelle a été transmise et consacrée dans la Sainte Ecriture, la tradition des Pères, le consentement de l’Eglise, les conseils généraux et les décrets des Souverains Pontifes. Courage donc à ceux qui ont à cœur de défendre la cause de l’unité ; revêtus du casque de la foi, tenant fermement l’ancre de l’espérance, embrasés du feu de la charité, qu’ils travaillent de tout leur zèle à cette tâche toute divine. Et Dieu, père et ami de la paix, maître des temps et des heures, hâtera le jour où les peuples d’Orient doivent revenir triomphants à l’unité catholique et, unis au Siège apostolique, purifiés de toute erreur, entrer au port du salut éternel. »[9]
(Source : FSSPX/MG – DICI n°297 du 06/06/14)
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[1] La Documentation Catholique, n°1417, 2 février 1964, col. 187, note 1. L’Osservatore Romano, 10 janvier 1964.
[2] C’est ainsi que, par trois fois, le patriarche Athénagoras avait salué le pape Paul VI dans une lettre du 22 novembre 1963. Cf. DC n°1417, col. 195-196.
[3] DC, n°1417, col. 194.
[4] DC n°2077, 1-15 août 1993, n° 22, p 713.
[5] DC n°2077, n° 14, p. 712.
[6] DC n°1064, 12 mars 1950.
[7] DC n°1912, 16 février 1986, p. 183. Voir aussi Abbé Daniel le Roux, Pierre m’aimes-tu ?, éditions Fideliter, 1988, p. 106.
[8] Dans la déclaration commune de 1964 comme celle de 2014 sont formulées des demandes de pardon réciproque pour les fautes commises par le passé contre l’unité. Le pape saint Pie X a fait justice des accusations indignes portées contre le Siège apostolique dans la Lettre Ex quo nono du 26 décembre 1910, « par laquelle est blâmé un écrit concernant la question du retour des Eglises à l’unité catholique. » Cf. Documents pontificaux de Sa Sainteté Saint Pie X, Publications du Courrier de Rome, 1993, tome 2, p. 308-311.
[9] Saint Pie X, Lettre au clergé d’Orient concernant le retour des Eglises à l’unité catholique, 26 décembre 1910, op. cit.
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