SOURCE – Abbé Franck Quoëx – Le Baptistère – mars 2003
Chaque année, les célébrations pascales nous rappellent une vérité chère à nos cœurs : la messe est le Testament du Seigneur confié à Son Eglise, le mystère de la foi par excellence et le trésor de la vie chrétienne.
Nous avons contemplé Jésus lors de la dernière cène, au terme de sa vie terrestre, juste avant qu’Il ne soit livré. Il institue un rite. Il prend du pain et du vin. Ses mains saintes et vénérables chargées de ces dons matériels, il fait monter vers le Père une prière d’action de grâces, Le bénissant pour l’immensité de Ses bienfaits et pour la Rédemption qui désormais va être accomplie. D’un même élan, le sacrifice de louange proféré sur le pain et le vin reçoit son plein achèvement, débouche sur le suprême bienfait : l’offrande de l’Homme-Dieu Lui-même en sacrifice d’apaisement, ou de propitiation, pour les péchés des hommes. Ainsi, à la Cène, Jésus fait l’offrande qu’Il allait accomplir peu après sur la croix : Prenez et mangez, ceci est mon corps. Prenez et buvez, ceci est mon sang, versé pour vous et pour une multitude en rémission des péchés. Il lie la cène au calvaire ; Il étend sur celle-là l’ombre de la croix. Dans le rite qu’Il institue, Il offre déjà au Père, sous les signes visibles du pain et du vin, son corps et son sang, et Il le fait précisément en vue du renouvellement de ce geste sacré par l’Eglise : Chaque fois que vous accomplirez cela, vous le ferez en mémoire de moi.
Le rite sacrificiel de la messe reproduit donc celui de la cène. Tout comme celui de la cène, le rite de la messe est le signe sacramentel de l’unique sacrifice du calvaire, mais avec cette différence que ce qui à la cène était offert par préfiguration est désormais accompli » en mémoire « , par commémoration. Cependant, le sacrifice sacramentel n’est pas une sorte de sacrifice supplémentaire, réitération ou multiplication des souffrances du calvaire, mais il ne fait qu’un avec l’unique sacrifice de la croix qu’il représente et commémore. A l’autel, selon les mots de saint Augustin » le Christ qui s’est immolé Lui-même une fois pour toutes [sur le calvaire], s’immole chaque jour dans le sacrement[1] », tandis qu’ « élevé au-dessus des cieux » (He. 7, 26), notre grand Prêtre » est toujours vivant pour intercéder en notre faveur » (He. 7, 25), consommant en Son humanité glorifiée sa médiation sacerdotale. Vrai et authentique sacrifice, » célébration de la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’Il vienne » (1 Cor., 11, 26), le sacrifice de la Messe, est, comme l’a formulé Bossuet, » une application perpétuelle [du sacrifice de la Croix], semblable à celle que Jésus-Christ en fait tous les jours au ciel aux yeux de son Père, ou plutôt c’en est une célébration continuée[2] « .
Cette application et célébration, l’Église a reçu la mission et le pouvoir de l’accomplir, et ce jusqu’à la fin des temps, de sorte que les fidèles du Christ, toujours et partout, puissent recevoir les bienfaits de la Passion rédemptrice. En effet, parce qu’il contient le culte très parfait du Christ par lequel les péchés sont rachetés et les biens spirituels prodigués, le sacrifice eucharistique établit un contact très étroit, qu’on peut dire physique, entre l’homme racheté et son Dieu. A la messe, les fidèles adorent Dieu avec les sentiments, les prières et les gestes du Sauveur et de Son Église. Ils sont admis à offrir avec toute l’Église, sous les espèces visibles du pain et du vin, le sacrifice même de Jésus, par lequel ils sont comblés de » toute bénédiction céleste et de toute grâce[3] » et rendent ainsi à Dieu » tout honneur et toute gloire[4] « .
Par la communion aux précieux dons offerts et transsubstantiés, ils jouissent de la divine Présence, Présence cachée mais néanmoins réelle, et reçoivent » le gage de la gloire future[5] « .
Testament du Seigneur, la messe est le soleil de nos vies et notre trésor. Nous l’aimons en raison de ce qu’elle est substantiellement et principalement de par l’institution du Seigneur. Mais nous l’aimons encore telle que l’Église, à qui Jésus a confié sa célébration, nous l’a transmise à travers les siècles par le biais des diverses traditions liturgiques. Car c’est afin d’expliquer et de manifester aux yeux de toute l’Église les richesses insondables du rite essentiel légué par le Seigneur que se sont développés au cours des siècles les prières et les rites. Il est en effet possible de suivre pas à pas » l’histoire de la Messe « , de ses premiers développements jusqu’à la codification des divers usages rituels d’Orient et d’Occident. Ainsi, un simple regard sur le récit de l’institution permet déjà d’entrevoir l’évolution des gestes d’offrande, les développements de la prière eucharistique et des rites de communion. De même, comme l’écrivit naguère le Père Roguet, » [la valeur sacrificielle de l’Eucharistie] est précisée et explicitée par des rites secondaires et pourtant indispensables : paroles du canon, usage de l’autel, signes de croix, etc… qui précisent qu’en prononçant ces paroles le prêtre ne se livre pas à une simple méditation commémorative, mais accomplit vraiment un sacrifice[6] « . Pour toutes ces raisons, que nous n’avons fait ici qu’esquisser, nous nous sentons profondément liés aux traditions liturgiques, et d’une manière spéciale au rite romain de la messe tel que l’a codifié saint Pie V. Nous ne pouvons en aucun cas renoncer à un patrimoine qu’ont lentement édifié la foi de nos pères, leur dévotion ardente et la réflexion théologique autour du sacrement de la Passion du Seigneur. Au contact de la messe de saint Pie V – où nous voyons aussi le plus pur chef-d’œuvre de la civilisation occidentale, hiérarchique et sacral, nos âmes s’élèvent et nos cœurs se dilatent, tandis que nos intelligences goûtent la doctrine eucharistique la plus authentique. C’est pourquoi nous voulons connaître et aimer toujours davantage la messe traditionnelle, notre trésor, et n’aurons ici de cesse de la défendre et promouvoir.
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1. » Semel immolatus est in semetipso Christus, et tamem quotidie immolatur in sacramento » (saint Augustin, Epist. 98 ad Bonifacium, PL 33, 363)
2. Bossuet, Explication de quelques difficultés sur les prières de la Messe à un nouveau catholique, XIII
3. » omni benedictione caelesti et gratia repleamur » (canon romain, à la prière Suplices te rogamus)
4. » omnis honor et gloria » (canon romain, à la doxologie Per ipsum)
5. » O sacrum convivium, in quo… futurae gloriae nobis pignus datur » (saint Thomas d’Aquin, office de la Fête-Dieu, antienne du Magnificat des II èmes vêpres).
6. A.-M. Roguet, dans La somme théologique, les Sacrements, éd. La revue des jeunes, Paris, 1945, page 376.